Ce reportage est l’histoire d’une femme forte et courageuse qui prend sa vie à bras-le-corps, évitant de peu la mort pour se retrouver sur le chemin de la guérison. Gloria Colon, 33 ans, est piégée dans un cauchemar urbain fait de prostitution et de toxicomanie, à proximité du vrombissement des voies express qui tranchent le quartier de Hunts Point dans le Bronx, à New York. Elle a commencé à vivre dans la rue alors qu’elle était adolescente, parce que, selon sa mère, elle avait “de mauvaises fréquentations”. Cette dernière a recueilli la fille de Gloria alors qu’elle n’avait qu’un an - elle en a aujourd’hui treize.

Autrefois, Gloria avait un corps magnifique. Aujourd’hui, il n’est que croûtes, cicatrices et défiguration. Son dentier (un cadeau d’un ami dentiste, John), tout du moins la partie supérieure, est fêlé et branlant. Elle a perdu son dentier du bas. La drogue, les toilettes publiques, la violence ont fait d’elle à la fois un prédateur et une proie. Son corps s’effrite quand l’héroïne la possède, mais vite, elle doit trouver du crack pour la réveiller, comme par électrochoc, pour aller faire une autre passe à 10$ qui lui permettra de s’acheter un autre sachet d’héroïne à 10$, une autre passe, un autre sachet, 10 sachets par jour. Le cercle vicieux, une passe pour une dose, l’a brisée.

Elle fait partie des 5 000 prostituées (selon les estimations) qui travaillent à New York; elle fait partie des 2 500 d’entre elles qui sont pratiquement sans logis, des 96% qui sont toxicomanes ou alcooliques, des 40% qui s’injectent de la drogue, des 67% qui fument du crack. 18% des prostituées sont séropositives.

“Avant que je ne sois comme ça, il y avait quelqu’un de meilleur en moi. Je ne peux pas vous dire combien de fois je me suis vomi dessus, chié dessus. Je perds le sens du goût, je perds la vue· J’ai eu tant de fois un couteau sur la gorge, on m’a souvent battu à coups de crosse. a fait partie de la profession. J’en porte les marques”, dit Gloria Colon.

Si désespérément veut-elle se sortir de cette vie misérable qui la consume qu’elle entreprend une aventure ambitieuse qui la mène à Phoenix House, un centre de désintoxication new-yorkais fondé il y a trente ans, radeau auquel il faut qu’elle s’accroche de toutes ses forces si elle ne veut pas sombrer à nouveau vers une mort certaine. Au début du programme de désintoxication, c’est une candidate au teint blême. Les examens médicaux préalables effectués dans la clinique du centre révèlent l’ampleur des dégâts. Le corps de Gloria ressemble à un précis de toxicomanie : on diagnostique un cancer du col de l’utérus et une hépatite. Sa peau n’est qu’un amas de lésions sclérosées, de marques et de cicatrices multiples. Elle souffre de malnutrition, son foie et ses ganglions lymphatiques sont enflés, son ventre est dilaté. “Je n’ai pas vu ce genre de souffrance corporelle depuis 20 ans”, déclare Loretta Hinton, directrice du centre.

Elle entame donc un régime très strict : tous les jours, réveil à six heures, ménage de la chambre, petit-déjeuner et réunion matinale. Ensuite, de 9h à 17h, elle travaille “en boutique” dans le secteur de la confection, pour un salaire d’un dollar par semaine. Son emploi du temps prévoit également des séminaires qui mettent l’accent sur la prévention des rechutes. Bientôt, elle retournera à l’école pour obtenir son brevet d’études supérieures par équivalence. A plus long terme, elle suivra une formation professionnelle, qui lui permettra d’obtenir un emploi et un logement. “Ma mère, ma grand-mère et ma fille m’attendent depuis si longtemps; je ne peux pas les laisser tomber”, dit-elle. Les 90 premiers jours sont les plus critiques: sur les 1000 adultes et 400 adolescents new-yorkais qui s’inscrivent chaque année au programme de désintoxication, 40% abandonnent au bout de 3 mois, et 20% supplémentaires avant la fin de l’année. “Je veux tellement en finir avec la drogue que j’en ai mal”.

Décembre, cinquième mois de sevrage. Gloria prend le métro de New York avec d’autres membres du “clan” de Phoenix House. C’est leur première sortie surveillée. Ils sont tous surexcités à l’idée d’aller admirer l’arbre de Noël du Rockefeller Center. Les yeux de Gloria scintillent, à l’instar des vitrines décorées. “Guérir, décrocher, être clean, savourer cette victoire. Voilà les cadeaux de Noël que je m’offre à moi-même. Ne pas replonger, c’est celui que j’offre aux autres. Vivre sans la drogue, ça vous coupe le souffle”.

Susan Watts

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