Dans les années 80, au cours de la guerre civile au Salvador, près de 20% de la population a quitté le pays pour s’établir à Los Angeles et dans d’autres villes des Etats-Unis. Les Salvadoriens sont arrivés avec l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants.

Les photos exposées ici sont un aperçu de la violence perpétrée par les gangs, à laquelle ces réfugiés ont été confrontés dans les quartier pauvres de Los Angeles; elles montrent également à quel point cette violence a laissé sa marque cruelle et douloureuse sur la vie de personnes vivant à des centaines de kilomètres de Los Angeles. Mes sujets sont des adolescents pour qui la violence des gangs et l’exil sont une habitude. Mais ces jeunes, qui de prime abord paraissent responsables de la violence, en sont aussi les victimes. Les gangs tuent, mais ils protègent aussi. Dans le monde des gangs d’ados, c’est le prix quotidien de la survie.

Depuis plus de dix ans, les gangs américains s’établissent au-delà des frontières, en Amérique Centrale et dans les Caraïbes, une tendance qui s’est accélérée en raison des actions menées par le Service d’Immigration et de Naturalisation américain. Malheureusement, balayer le problème des gangs de l’autre côté de la frontière ne contitue pas une bonne solution.

Lorsque de jeunes contrevenants ou membres de gangs immigrés sont expulsés vers des pays tels que le Salvador, ils perdent les points de repère que sont la famille et "la maison”. Errant dans les bidonvilles de San Salvador, ils se regroupent pour se protéger et font connaître la vie des gangs tels qu’ils la pratiquaient à Los Angeles à la jeunesse pauvre du Salvador de l’après-guerre.

Lorsque j’ai commencé à photographier les jeunes Salvadoriens qui faisaient partie de gangs à Los Angeles en 1993, j’ai été affectée, mais je n’étais pas surprise d’entendre que la plupart d’entre eux avaient été témoins d’atrocités commises à l’encontre de leur famille ou de leurs voisins, et ce au cours de leur plus tendre enfance. Certains d’entre eux avaient même été enrôlés pour combattre – tant aux côtés de la guérilla que de l’armée gouvernementale.

Cependant, j’ai été choquée et profondément bouleversée par ce que j’ai vu au Salvador plus tard au cours de cette même année. Lorsque je couvrais le conflit dans ce pays dans les années 80, les gangs d’adolescents n’existaient pas. Mais en 1994, j’ai vu des ados tatoués et des graffitis de gangs américains pratiquement aux quatre coins du Salvador. Vers la fin de années 90, la plupart des jeunes que je rencontrais là-bas en savait long sur les gangs et les guerres des gangs à Los Angeles, même sans jamais y avoir mis les pieds. Peu étaient ceux qui se souvenaient de la guerre civile que j’avais photographiée moins de dix ans auparavant dans leur propre pays. Le crack était leur moyen préféré d’échapper aux images traumatisantes de violence en prison et d’amis abattus par des gangs rivaux ou des escadrons de la mort.

A l’aube du vingt-et-unième siècle, les droits de l’homme, si durement acquis dans une jeune démocratie telle que le Salvador, sont confrontés à de nouvelles menaces. L’ironie du sort est que ce pays, désormais en paix, accuse le plus fort taux de criminalité de toute la région des Amériques. Les statistiques de la Pan-American Health Organization montrent que ce taux est plus élevé que celui de la Colombie, et plus haut que le taux annuel de décès du Salvador lui-même pendant les dix ans de guerre civile.

Les vendettas entre deux gangs originaires de Los Angeles – Mara Salvatrucha et son rival, la dix-huitième rue – sont responsables d’une bonne partie de la violence au Salvador. Mais la violence institutionnelle n’est pas étrangère à ces statistiques alarmantes. Les milices des escadrons de la mort ont pris dans leur collimateur les enfants des rues et les gangs d’adolescents, tandis que les réseaux organisés qui profitent du commerce de la drogue restent intouchables. Les fumeries de crack se propagent dans les bidonvilles du pays, les enfants imitent le comportement des membres de gangs expulsés des Etats-Unis : une autre génération est en passe d’être transformée, blessée et suffoquée dans une guerre dont personne ne parle.

Donna de Cesare

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