Cette exposition tente de raconter l’Algérie. Les moments douloureux, heureux, difficiles de tous les jours. Une partie de la vie de l’Algérie vue à travers mon téléobjectif comme photographe de presse.

Le trajet que ma carrière a été forcée de prendre en 1990, alors que j’étais jeune débutante, s’est révélé être mon favori. J’ai appris qu’un rôle s’imposait à moi : celui de témoin.

L’exposition devra dire ma relation avec mon pays – mon Algérie. Elle devra témoigner qu’il est difficile de garder sa neutralité quand sa chair est concernée. Elle dira aussi que l’Algérie, comme une femme marginalisée parce que différente des autres, comme une femme délaissée parce que trop entière, tente de s’en sortir toute seule. Elle apprend ainsi à être forte et à faire face à toutes les tempêtes.

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Il m’a été difficile de choisir les photos. Pour moi, toutes les photos faites depuis treize ans représentent, racontent, expliquent, disent l’Algérie. Ce pays qui sait pleurer puis rire, qui sait perdre et gagner, qui sait hurler mais aussi se taire, qui sait tant ! Pareil aux autres pays, sinon plus. Ce pays qui a su garder sa beauté même quand on a tenté de l’enlaidir. Ce pays pudique qui cache sa douleur pour ne pas mettre dans la gêne, et qui vous demande de le laisser grandir en toute liberté. Ce pays a peut-être tout simplement besoin d’un peu de confiance pour avancer.

Des souvenirs amers me traversent l’esprit. Je me rappelle le temps où nous avions peur de notre ombre. Les moments où le terrorisme se conjuguait au quotidien en Algérie, où personne n’était épargné. Et si encore il nous arrive d’avoir peur, nous avons pris conscience que la vie a fini par gagner, et que surtout, surtout nous ne sommes plus seuls. Le monde entier est aujourd’hui concerné par cette même peur. L’Algérie généreuse aurait tellement voulu être comprise à temps pour éviter au monde tant de douleur.

A mes débuts je ne pouvais pas imaginer que j’allais vivre des moments aussi intenses qui allaient bouleverser toute mon existence. Je me suis retrouvée bien loin du chemin paisible que mes parents auraient voulu que j’emprunte. Tout a fini par me concerner. Tout ce qui concernait l’Algérie allait faire partie de mon univers, tout devait m’intéresser, bon, mauvais, dur ou facile.

Ce n’est pas du patriotisme exacerbé, ce n’est pas non plus du professionnalisme exagéré. C’est simplement mon amour pour ce pays qui m’habite. Je vis au rythme de ses joies, de ses peines, de ses bonheurs et de ses malheurs. En permanence j’ai eu à me battre avec moi-même pour rester neutre dans mon travail, simple témoin.

On m’a souvent demandé pourquoi je prenais autant de risques. On m’a aussi harcelée avec : « ça fait quoi d’être femme photographe en Algérie ? ». Pour la première question je ne comprenais pas. Le risque se mesurait en allant au travail, au marché, à l’école. C’était devenu un acte de bravoure. Pour la deuxième, je répondais simplement que sur le terrain je n’étais ni femme ni homme, uniquement exclusivement photographe.

Zohra Bensemra

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