Jeux d'ombres... le sport sans la vue
Magali Delporte
Lauréate 2001 du Prix Canon de la Femme Photojournaliste décerné par l’Association de Femmes Journalistes (AFJ)
« La qualité de la vue, c’est la qualité de la vie ! » Ce slogan publicitaire prouve à quel point notre société est régie par le visuel et exclut ainsi de la scène publique ceux qui « voient autrement ». Et pourtant, ils sont plus de 50 millions dans le monde à être aveugles ou amblyopes (malvoyants).
Ma première rencontre avec ces personnes s’est faite à travers le sport et a totalement bouleversé les stéréotypes que j’avais à leur égard. C’est donc dans cet univers que j’ai eu envie de les photographier. Athlètes professionnels ou amateurs, ils sont ici intrépides, compétitifs, épanouis.
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Dans ce contexte, les signes habituels de la cécité sont quasiment absents. On ne rencontre ni un chien guide ni une canne blanche. Il faut chercher ailleurs pour se rendre compte de la condition des individus: un bandeau couvre les yeux du footballeur, une corde relie le coureur à son compagnon, ou encore le son de la voix du pilote guide le skieur. A chaque fois, une relation de confiance unique est établie. Dans le cas du rodéo, c’est entre l’homme et le cheval que ce lien existe !
Hobby du dimanche ou raison d’exister, le sport libère le corps et l’esprit. Pour l’aveugle, il aiguise aussi l’acuité auditive dans un espace où ce sont les ‘ombres sonores’ qui servent de repères. Pour le malvoyant, il aide à utiliser la vision résiduelle au maximum. Cet entraînement des sens permettra à chacun de mieux affronter le quotidien.
L’adaptation aux aveugles des différentes disciplines remonte à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale, suite à l’arrivée de personnes adultes qui perdirent la vue mais gardèrent intactes leur force physique et leur besoin d’exercice. Dans les années 70, les compétitions internationales sont apparues et, aujourd’hui, presque tous les sports ont été mis à l’épreuve par ces personnes en quête de défi. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il n’y ait une compétition quelquepart dans le monde, et grâce à la circulation des informations, les différentes techniques sont partagées et constamment améliorées. Un des personnages du projet, qui a perdu la vue suite au diabète, utilise une métaphore pour expliquer comment il a surmonté cet handicap : "Quand une horloge tombe en panne, le temps continue de s’écouler. C’est seulement si on regarde l’horloge qu’il s’est arrêté. De même pour nous: la vie continue, c’est une question d’adaptation et de courage.’" Et il en faut énormement.
Avec ces reportages, réalisés dans plusieurs pays, je veux rendre hommage à la tenacité de ces personnes en les présentant dans des moments de joie, d’action et d’effort, dans un monde dynamique et en couleurs.
Mes voyages ont été rendus possible grâce au Prix Canon de la Femme Photojournaliste décerné par l’Association de Femmes Journalistes, une bourse pour soutenir financièrement une femme dans ses choix photographiques.