Téhéran, 11 Février 1979. Ce matin, comme tous les lendemains d’émeute, Téhéran se réveille avec une gueule de bois. La veille, les cadets des Forces Aériennes, des jeunes gens qui font leur service militaire, ont été les premiers à se soulever contre le régime du Chah.

L’après midi, les émeutiers s’attaquent à l’une des centres de la SAVAK, la redoutable police politique. L’assaut est dirigé par des jeunes gens masqués - sait-on jamais - probablement des militants du mouvement des Moudjahidine, islamo-marxistes, et des Fedayin, guérilleros eux aussi marxistes, dont certains ont été torturés ici même, j’en suis sûr. Les Savakis qui se rendent sont regroupés dans une mosquée ; quelques uns sont malmenés.

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Dans la cour du centre qui est mis à sac, c’est la revanche des humiliés sur l’arrogante SAVAK. Dans la cohue, le choulougui, où des jeunes voyous se mêlent aux véritables révolutionnaires, la violence est latente. Je ne garde qu’un appareil pour ne pas trop attirer l’attention peine perdue, un jeune crie : « Attention ! C’est peut être un Savaki ! », et je sens soudain la lame effilée, très effilée, d’un couteau sur ma gorge.

« Donne-moi ton appareil ! ». « Mais vous êtes vainqueurs ! Vous l’avez anéantie, la SAVAK ! » Je ne donne que le film. L’Histoire est-elle aussi ironique à chaque révolution ?

Cette nuit là, pourquoi je ne laisse pas exploser ma joie, comme le font tous mes compagnons ? Pourtant c’est bien mon pays, mon peuple, ma révolution. Est ce à cause de cette référence constante à l’Islam ? Ou bien parce que j’ai vu le visage de la défaite, celui du Général Rahimi, le commandant de la loi martiale ? Deux années auparavant, je l’avais photographié, en grand uniforme impérial, avec toutes ses médailles. Ce soir il est exhibé, en chemise, devant les caméras de la télévision. Son interrogatoire, mené par Ibrahim Yazdi, sonne comme un procès : « Voulez-vous vous repentir ? ». « J’ai juré fidélité au Chah, je maintiens mon serment ! » Un journaliste étranger demande alors s’il pense qu’il sera exécuté. Le Général Rahimi lève les bras au ciel et déclare : « Je suis entre les mains d’Allah ! »

Cinq jours plus tard, je le photographie, presque nu, dans un des casiers de la morgue de Téhéran. Il a été fusillé dans la nuit, avec trois autres généraux, après un bref procès. Un procès secret. Ce jour là, la révolution cesse d’être la mienne.

Abbas

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