Pierre ne faisait pas de l’art, il faisait de la photographie. Il disait toujours: “ Je suis comme le plombier, je fais mon métier de photographe “. Métier difficile, souvent ingrat qu’il faisait avec rigueur et passion. Il faisait de la photographie, tous les jours, il voyait, pensait, parlait et écrivait photographie et sa grande liberté était de photographier ce qu’il aimait: la vie, les hommes, les femmes (surtout), ses amis, les nuages, un suicide de suppositoires…

Tout, sauf la guerre et la misère, car il ne supportait pas le malheur des autres. Arthur Rubinstein, Yves Saint Laurent, les cadets de West Point, les mineurs polonais, le sourire d’une vierge de Fra Angelico… Il les a tous photographiés avec le même bonheur. Ce fut son plaisir pendant 6 décennies. Mais il ne choisissait jamais la facilité.

Je me souviens d’un été, alors qu’il avait décidé de photographier le mouvement des étoiles dans le ciel. Il aurait pu se contenter d’acheter l’objectif adéquat. Non, il a en a bricolé un de sa façon avec des pièces de meccano et nous avons passé toutes les nuits du mois d’août sur la terrasse l’appareil braqué vers le ciel…..

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C’était aussi cela pour lui la photographie : avoir une idée, et il en regorgeait, mettre toutes les chances techniques de son côté, il s’en donnait les moyens, faire la photo, et partager le résultat avec son entourage, il n’y manquait jamais. Parce qu’il aimait la photo, il aimait montrer les siennes. Ce n’était pas de l’égocentrisme ni de la prétention. C’était sa façon de partager son plaisir avec les autres. Car il aimait cela aussi, partager le bonheur de vivre, et d’être libre.

Traverser l’Europe entière au volant de sa voiture, grimper dans un bi-moteur au risque de s’écraser, franchir les collines du sud-Liban un keffieh sur la tête, se glisser au milieu d’une manifestation anti-américaine en Chine... pour faire une photo. Toute la vie de Pierre est là, au bout de son fish-eye ou de son télé-objectif. Et quoi de plus merveilleux que de passer des heures dans un sous-sol pour réaliser l’image qu’il avait dans la tête: un oeuf au plat atterrissant sur une planète inconnue, sous le rire de la lune. Ce n’était plus du photo-journalisme, mais ce n’était pas de l’art non plus. C’était, disait-il, un fait divers spatial, qu’il avait inventé de toute pièce. Car il avait une imagination délirante.

Le métier de journaliste, c’est aussi raconter une histoire. Et toutes les histoires étaient bonnes à raconter. Même les faits divers les plus incongrus. Il a aujourd’hui rejoint ce nouveau cosmos dont il rêvait, où les fleurs en acier aux pistils géants remplacent les étoiles, et nous balaient des particules pour la survie de l’espèce des photographes.

“ Le clou c’est de mourir d’un cancer et d’être sacré le roi des photographes ! ”. Pierre n’est pas mort d’un cancer, mais des conséquences d’un mal qu’il avait toujours redouté et haï : la maladie de Parkinson. Il n’a pas été sacré le roi des photographes, car il n’y a pas de roi des photographes. Maintenant qu’il n’est plus là les gens disent simplement tout haut ce qu’ils pensaient tout bas: que c’était un grand !

Annie Boulat
Juillet 1998

Pierre Boulat

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