Haïti : le pouvoir des gangs
Corentin Fohlen
Paris Match
Visionnez la rencontre avec Corentin Fohlen, modérée par Caroline Laurent-Simon https://cloud.imagesevidence.com/index.php/s/SyMDjncPepY4Eaj
La montée en présence des gangs dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, est la conséquence directe d’années de gouvernements corrompus et d’ingérences étrangères – politiques, économiques et humanitaires –, déstabilisant profondément la destinée d’un pays.
En 2018, le peuple haïtien est dans la rue. Il conteste la mauvaise gestion du fonds PetroCaribe – une aide de l’État vénézuélien pour le développement d’Haïti –, qui a été dilapidé par les gouvernements des présidents Michel Martelly et Jovenel Moïse. La répression est à son apogée lors du massacre de La Saline (71 morts) le 13 novembre 2018, opération notamment menée par un policier, Jimmy Chérizier.
Cinq ans plus tard, ce dernier – dont le surnom « Barbecue » vient de sa jeunesse – est entre-temps devenu le puissant chef du gang « G9 et alliés ». Visé par des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, il est accusé de meurtres, viols et kidnappings, et suspecté d’avoir été mis en place par le pouvoir, puis de s’en être émancipé. Dans une conférence de presse le 29 février 2024, il annonce une union des gangs pour combattre le gouvernement et demande la démission du Premier ministre Ariel Henry, le remplaçant du président Jovenel Moïse assassiné en juillet 2021.
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Deux semaines plus tard, Ariel Henry est contraint de démissionner après avoir été bloqué en dehors des frontières de son pays. La lutte des gangs contre ce qu’il reste d’État – c’est-à-dire la police nationale – reprend de plus belle. La violence atteint des niveaux sans précédent dans l’histoire récente du pays. La coalition de gangs « Viv Ansanm » (Vivre ensemble) décide de s’attaquer aux lieux de pouvoir. Les bâtiments publics – le Palais national en tête, mais aussi la Bibliothèque et la Banque nationales – sont quotidiennement ciblés. Dans la foulée, près de 4 000 prisonniers s’évadent après l’attaque de deux prisons de la capitale . Pour semer la terreur, les gangs assassinent en pleine rue, de nuit, notamment dans la banlieue huppée de Pétion-Ville, jusque-là relativement préservée. La communauté internationale, sous l’égide de l’ONU, n’ose toujours pas agir malgré la demande d’intervention d’une force de police étrangère, menée principalement par le Kenya.
Mais une grande partie de la population haïtienne redoute une intervention extérieure, qui par le passé a plus souvent été vecteur de chaos que régulateur de conflits.
Corentin Fohlen
Ce reportage est l’aboutissement d’un travail documentaire de fond sur le poids de l’histoire en Haïti, avec la violence systémique comme élément central, à retrouver ici : www.corentinfohlen.com/2023/09/sueurs-et-tremblements
Reportage réalisé avec le journaliste Nicolas Delesalle, les fixeurs Yvon Vilus et Mendel Jean, et mon guide et ami Wood, qui nous ont permis d’entrer sur le territoire dont les frontières étaient fermées, et de travailler sereinement en rencontrant les membres de deux gangs.