« Non, je n’ai pas démissionné. Ce que certains appellent démission est un nouveau coup d’état ou un kidnapping moderne », a déclaré Jean-Bertrand Aristide à Amy Goodman de Democracy Now! Mars 2004

Haïti est aujourd’hui un pays en proie aux mythes sociaux et politiques. Ces mythes reviennent inlassablement fausser toutes les analyses et tous les reportages sur ce pays et ils nous induisent en erreur quant à ce qui se passe réellement là-bas. Fréquemment repris par les médias et les hommes politiques, ces mythes nous portent à croire que Haïti est un pays où les cycles de violence gratuite se perpétuent indéfiniment; que le Président Jean-Bertrand Aristide a fui le pays face à un soulèvement « populaire » ; que la « communauté internationale » est intervenue pour établir la « démocratie » en Haïti ; que les forces d’occupation continuent à construire des écoles, des ponts, des hôpitaux et des routes. Et le mythe le plus tenace : que les « gangsters » pro-Aristide constituent toujours la principale source de violence et d’instabilité dans le pays.

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Début 2005, je me suis rendu en Haïti et y ai trouvé une réalité qui ne correspond pas à ce qu’on m’avait laissé entendre. J’ai été le témoin d’une campagne de violence et de répression menée par les dirigeants actuels d’Haïti (installés au pouvoir par les Etats-Unis et la France) visant à éliminer le mouvement Lavalas (pro-Aristide), encore très populaire, ainsi que ses supporters. Des centaines de militants Lavalas croupissent en prison sans avoir comparu devant un tribunal et d’autres ont été tués alors qu’ils manifestaient dans la rue ou bien lors des raids de la police nationale haïtienne (PNH) dans les quartiers les plus pro-Aristide (1). Des quartiers entiers suspectés d’abriter des sympathisants pro-Aristide ont été cernés par des postes de contrôle de la mission de l’ONU (MINUSTAH) et de la PNH et les habitants ont été privés de services tels que l’eau et l’électricité (2).
Et pourtant, tant les Etats-Unis que la France continuent d’apporter leur soutien inconditionnel au gouvernement « provisoire ». Récemment, les Etats-Unis ont décidé de recommencer à apporter leur aide économique et militaire à ce gouvernement. Cette attitude contraste singulièrement avec celle adoptée face au Président Aristide pourtant élu démocratiquement et auquel ils avaient imposé des sanctions économiques en 1995 et qu’ils n’ont eu de cesse de renverser en finançant et courtisant ses opposants. Ces sanctions ont privé l’une des nations les plus pauvres de l’occident de quelques 500 millions de dollars, et sinistré gravement le pays sur le plan économique et social. Dans le même temps, le gouvernement américain apportait un soutien financier et politique aux opposants d’Aristide et organisait même des conférences en République Dominicaine, pays voisin, pour permettre aux dits opposants de rencontrer ceux qui, à Washington, partageaient leurs opinions politiques. Comme l’a écrit Amy Wilentz, une journaliste qui connaît bien Haïti : « Dans un pays ... où l’armée a été dissoute il y a presque dix ans, les soldats n’apparaissent pas comme ça... ils doivent être réorganisés, formés de nouveau et réapprovisionnés... et quelqu’un doit [les] organiser. » (3)
Aujourd’hui, le gouvernement « provisoire » est composé d’une cabale d’hommes d’affaires et d’industriels qui s’emploie à démanteler les institutions politiques et sociales instaurées par Aristide alors qu’il était au pouvoir. Bon nombre de ces hommes faisaient jadis partie du brutal régime Duvalier et sont de retour se faisant passer pour les nouveaux démocrates. La MINUSTAH a été chargée du « maintien de la paix » mais semble manquer d’hommes, n’être pas assez préparée pour s’acquitter de cette tâche, et est d’ailleurs devenue un collaborateur de la campagne de répression actuelle (4).
Et les pressions qui pèsent sur la MINUSTAH pour qu’elle use davantage de force ne cessent d’augmenter, tant et si bien que le commandant des forces onusiennes en Haïti, le général Augusto Heleno Ribeiro, a été amené à se plaindre du fait que « la communauté internationale fait énormément pression sur nous pour que nous ayons recours à la violence. Je suis à la tête d’une force de maintien de la paix, pas d’une force d’occupation. » (5).
Les élections sont prévue pour octobre/novembre 2005, et le gouvernement « provisoire » est déterminé à ce que la « démocratie » en Haïti soit celle que lui et ses supporters internationaux veulent. Quel type de « démocratie » peut-on attendre d’un groupe qui a évincé du pouvoir un président démocratiquement élu ? Nous devrons attendre pour le savoir. Les photographies exposées dans le cadre de Visa pour l’Image-Perpignan montrent comment la nouvelle « démocratie » haïtienne se construit, le fusil sur la tempe. Ces photographies font partie d’un projet de longue durée qui vise à mettre en exergue les problèmes qui se cachent derrière l’interminable agonie d’Haïti et la lutte de son peuple pour la démocratie et la justice sociale.

1 Haiti Human Rights Investigation [enquête sur les droits de l’Homme en Haïti] University of Miami School of Law 2004

2 Keeping the Peace in Haiti? [Maintien de la paix en Haïti ?] Harvard Law School, Clinical Advocacy Group, 2005

3 Amy Wilentz, The Nation, 4 mars & 9 avril 2004

4 Keeping the Peace in Haiti? Harvard Law School, Clinical Advocacy Group, 2005

5 Haiti’s Transition: Hanging in the Balance [Les enjeux de la transition en Haïti], International Crisis Group, 2005

Asim Rafiqui

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