Ce projet illustre mon voyage en tant que photographe, observatrice de la culture, membre des media, critique des media, en tant que femme et en tant que fille.

Ces photos sont à la fois très personnelles et très publiques. Elles traitent de ce qu’est la sphère privée, la sphère publique et de la ligne de démarcation entre les deux, du moins lorsque cette ligne existe. Elles traitent de la culture populaire que nous partageons et de la façon dont la culture laisse son empreinte sur les individus dans les moments de leur vie les plus publics et les plus privés. Elles traitent des filles que j’ai photographiées. Elles traitent également de moi-même. J’étais immergée dans cette girl culture (la culture féminine) avant de devenir photographe et je photographiais déjà la girl culture avant de réaliser que j’étais justement en train de travailler sur ce projet.

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J’ai souhaité analyser les éléments pathologiques de notre vie quotidienne. Je m’intéresse à la tyrannie que les filles minces, qui ont du succès, exercent sur celles qui ne rentrent pas dans ce moule. Je m’intéresse à la concurrence à laquelle sont confrontées les filles qui jouissent d’une grande popularité, et pour qui le succès, ironiquement, n’est pas toujours synonyme de satisfaction. Je m’intéresse au temps que nous passons tous les jours à soigner notre beauté et notre apparence. Je m’intéresse au fait que ne pas être doté de la silhouette idéale, c’est devenir un paria des temps modernes. Je m’intéresse aux sentiments de frustration, de colère et de tristesse ressentis par les filles, qui se traduisent par des comportements auto-destructeurs : le contrôle de l’alimentation, l’auto-lacération, la multiplication des partenaires sexuels. Je m’intéresse au fait que le corps des femmes est devenu un palimpseste sur lequel de nombreux messages contradictoires de notre culture de la féminité sont écrits et réécrits. Par-dessus tout, je m’intéresse à la composante de mise en scène et d’exhibitionnisme qui semble définir le fait d’être une fille aujourd’hui.

Ce sont ces centres d’intérêt, associés à mes propres souvenirs et à une véritable passion pour les filles, le bavardage, les liens entre filles et les rituels particuliers de la girl culture, qui m’ont poussée à me lancer dans ce voyage photographique au cours des cinq dernières années.

On pensera peut-être que certaines des filles et des femmes dans mes photos sont des marginales ou qu’elles mènent des vies extrêmes. En fait, la culture de la popularité tend à gommer la démarcation entre ce qui est normal et ce qui, pour beaucoup, constitue l’extraordinaire. La plupart des filles sont confrontées, grâce à la télévision, aux magazines ou aux chansons, à des personnages dont la vie est extraordinaire. Ainsi, une adolescente des banlieues va dire qu’elle voudrait devenir danseuse exotique. Une préadolescente va imiter les mouvements suggestifs et porter les vêtements minimalistes qu’elle voit sur MTV. Si l’on veut comprendre ce qu’est l’identité féminine contemporaine, il est essentiel de comprendre la dialectique qui existe entre ce qui est extrême et ce qui est normal : l’anorexique et la fille au régime, la strip-teaseuse et l’adolescente qui montre son nombril et porte des strings.

Le corps est devenu le premier support sur lequel les filles expriment leur identité, leurs insécurités, leurs ambitions et leurs luttes. J’ai photographié ce phénomène tout en cherchant à savoir comment ce support est marqué par les valeurs et la sémiotique de la culture environnante.

La photographie est un moyen idéal pour étudier le rôle de l’image dans notre culture. L’appareil photo donne l’illusion d’une représentation objective, tout comme un miroir. Mais comme toute femme le sait, un miroir fournit des informations qui sont filtrées par l’esprit et les humeurs et qui deviennent l’objet des interprétations les plus folles et les plus divergentes. Ce projet a été mon miroir et ma tentative de déconstruction des illusions qui constituent notre réalité.

Lauren Greenfield

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