Lauréate du Prix Canon de la Femme photojournaliste 2012

Dans les régions tribales du Pakistan où sévissent les talibans, les traditions culturelles rigides du Pachtounwali (code d’honneur pachtoune) associées au fléau de l’extrémisme religieux ont transformé la vie des femmes en un véritable cauchemar. Le climat d’insécurité et les restrictions officielles dans les zones longeant la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan (appelée ligne Durand) ont rendu le travail des journalistes étrangers et locaux quasiment impossible. Sarah Caron nous fait pénétrer dans l’intimité très peu documentée des femmes pachtounes.

Muhammad Ali Jinnah, le père fondateur du Pakistan, rêvait d’un État islamique moderne et progressiste. Mais cette vision a été sapée par les extrémistes religieux sectaires, déterminés à détruire tout ce qu’elle représentait et tout ce qu’elle envisageait pour l’avenir du pays. Même si le Pakistan est le premier pays musulman à avoir élu une femme à la tête du gouvernement, il y a eu hélas peu d’amélioration de la condition des femmes. Feue Benazir Bhutto, élue deux fois Premier ministre, n’a pratiquement rien fait pour leur émancipation. Son gouvernement n’a eu de cesse de promettre des changements, mais n’a jamais adopté de lois efficaces pour renforcer leur statut, ni amendé les lois discriminatoires telles que les tristement célèbres lois Hudood1 toujours en vigueur.

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Au Pakistan, les allocations budgétaires pour la santé et l’éducation demeurent bien trop faibles et la plupart de ces sommes sont englouties par l’inefficacité administrative et la corruption endémique qui règnent dans presque tous les ministères du gouvernement. La situation des femmes pachtounes est bien pire que celles des femmes dans d’autres régions du pays. Elles font l’objet de restrictions sévères fondées sur les traditions culturelles et sont soumises à la rage des extrémistes religieux. Elles ont dû se résigner à être victimes de discrimination et de violence au nom de l’honneur et de la tradition, dans un pays où les auteurs d’affreuses agressions au vitriol ne sont que très rarement arrêtés et pratiquement jamais punis ; ceux qui commettent des crimes « d’honneur » sont d’ailleurs tenus en haute estime par la société et célébrés comme des héros.

Le droit tribal règne depuis des siècles, condamnant les femmes pachtounes à croire que leur destin se limite à accepter ces actes barbares et à les considérer comme nobles. Elles continuent à servir tous ceux qui vivent dans leur demeure modeste, que ce soit dans les montagnes escarpées, les vertes prairies ou les tentes nomades usées jusqu’à la corde. Bien avant l’aube, alors que la vie commence tout juste à s’éveiller, les femmes pachtounes sont les premières levées ; et ce sont les dernières à manger puis à s’endormir une fois la nuit tombée.

Selon le Pachtounwali, les femmes sont l’incarnation de Pat (la modestie, l’esprit du sacrifice), Shegarra (la gentillesse), Wafa (la fidélité), Toora (l’esprit combatif), Nang (l’honneur) et Melmastia (l’hospitalité). Cela peut paraître poétique, mais en réalité ces pauvres âmes doivent accepter et endurer toutes les formes imaginables d’abnégation et de souffrance afin de rendre les autres heureux, même si pour cela elles doivent sacrifier leur propre bonheur.

F.A. Khan

  1. Les lois Hudood ont été promulguées en 1979 par le dirigeant militaire Zia-ul-Haq, dans le cadre de l’islamisation du Pakistan par l’application de la charia. Un grand nombre de responsables politiques de haut rang qui ont critiqué l’injustice des lois vis-à-vis des femmes et des minorités ont été assassinés par des extrémistes religieux. Quelques années plus tard, un autre dirigeant militaire, le général Pervez Musharraf, a demandé au Parlement d’amender les lois Hudood et d’approuver la loi sur la protection des droits des femmes, adoptée en novembre 2006. Elle abolit certains articles des lois Hudood, notamment l’obligation pour une femme victime de viol de trouver des témoins, ou encore la lapidation publique pour adultère ou consommation d’alcool.

Sarah Caron

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