Lauréat du Prix Camille Lepage 2020

En arrivant en Éthiopie en 2019, je découvre un pays au bord du gouffre. Partout la terre manque. Tantôt asséchés, tantôt inondés, les sols fertiles sont disputés entre les différentes ethnies qui contestent les redistributions des régimes passés. Ces chocs climatiques et tensions agraires entraînent un exode sans précédent.

J’accompagne alors les migrants éthiopiens dans leur voyage vers l’Arabie saoudite. Un pays qui incarne pour eux un eldorado où ils pourront gagner de quoi vivre dignement. Ils s’y rêvent ouvriers, capables de payer à leurs familles une maison « en dur », mais le rêve ne se concrétise que pour certains.

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Partis à pied pour un périple de plus de 2 000 kilomètres, la route se révèle une épreuve aux risques parfois mortels et les affrontements ethniques s’y reproduisent. Nombreux sont ceux qui meurent de déshydratation ou se noient pendant la traversée de la mer Rouge. La torture est ensuite un passage presque obligé dans un Yémen en guerre, livré au règne des milices locales et des mafias éthiopiennes de la migration. Pour beaucoup la route s’arrête à Aden, ancienne capitale du Sud-Yémen, où les migrants atterrissent en n’ayant plus de quoi payer la suite du périple.

Dans ce pays à l’avenir incertain, je me suis attaché au destin de Moustafa. Migrant, il rêvait d’échapper à sa condition de paysan. Il a été touché par une balle au Yémen alors qu’il allait passer la frontière avec l’Arabie saoudite. Après six mois de galères dans un pays ravagé par la guerre, il a été rapatrié en Éthiopie. Il vit désormais de la mendicité car son vieux père est trop pauvre pour s’occuper de lui. Moustafa rêve d’un « petit exil » à Addis-Abeba, la capitale, pour ne pas déshonorer sa famille en mendiant. Son parcours à la dérive m’apparaît comme l’incarnation d’une jeunesse éthiopienne sans horizon, pour qui la fuite à tout prix reste l’unique option.

Et alors que je suis la route de Moustafa pendant deux ans, j’assiste à un nouvel exode. Fin 2020, une guerre éclair au Tigré conduit des dizaines de milliers de familles à tout quitter. Du jour au lendemain, combats et bombardements les poussent vers le Soudan voisin. Dans ce pays parmi les plus pauvres au monde, les Éthiopiens deviennent réfugiés, sans savoir s’ils pourront un jour regagner leur pays.

Olivier Jobard

Ces reportages ont également été réalisés avec l’aide du Figaro Magazine et de La Croix Hebdo.

Olivier Jobard

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