Équateur : conflit armé interne
John Moore
Getty Images
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En Équateur, les forces armées et la police ont procédé à des milliers d’arrestations dans tout le pays après que le président Daniel Noboa a déclaré l’état d’urgence début 2024 pour lutter contre l’extorsion généralisée et la flambée de violence des gangs, une situation qui a valu au pays d’avoir le taux d’homicides par habitant le plus élevé d’Amérique latine. Depuis que le président a déclaré un « conflit armé interne », les forces de sécurité du pays se sont vu accorder des pouvoirs étendus pour combattre les puissants gangs officiellement qualifiés d’organisations terroristes. Le conflit est devenu flagrant pour le monde entier lorsque, en plein direct, des membres de gangs cagoulés ont pris le contrôle d’une station de télévision à Guayaquil.
John Moore, correspondant spécial de Getty Images, s’est rendu en Équateur en février 2024 pour documenter la riposte du pays face à la crise des gangs. Il a obtenu un accès rare pour suivre l’armée et la police lors de descentes à Guayaquil et dans la province d’Esmeraldas, pénétrant dans des quartiers autrefois contrôlés par des bandes armées. Il a documenté les arrestations alors que les autorités saisissaient des armes et cherchaient des stupéfiants et des marchandises de contrebande. Lors d’une descente, il a photographié des policiers en train de passer à tabac des hommes placés en garde à vue, mais on lui a demandé de partir lorsque les policiers ont commencé à interroger les suspects.
Ces dernières années, les célébrations du carnaval ont été suspendues à cause des violences dans une grande partie du pays, en particulier dans les zones côtières. Le racket et les menaces de mort ont poussé de nombreux résidents côtiers à fuir. Dans le mois qui a suivi la déclaration d’état d’urgence, la criminalité a chuté et les autorités de la province d’Esmeraldas ont autorisé le carnaval : les habitants sont sortis faire la fête pendant que des soldats en uniforme patrouillaient sur les plages.
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À Guayaquil, John Moore a photographié l’intérieur du tristement célèbre pénitencier du Littoral, la plus grande prison d’Équateur où des soldats masqués surveillaient des détenus en combinaison orange qui, pour la plupart, avaient été arrêtés lors de descentes le mois précédent. Les responsables militaires ont coupé l’approvisionnement en électricité et confisqué les téléphones portables pour empêcher les chefs de gangs de poursuivre leurs activités depuis la prison, comme ils le faisaient auparavant.
La famille d’un membre de gang mort en détention militaire au pénitencier du Littoral est venue récupérer son corps à la morgue municipale et a autorisé John Moore à photographier sa veillée funèbre. Ils ont affirmé qu’il avait été torturé et ont montré des photos comme preuve. De nombreux Équatoriens semblent prêts à accepter une réduction de leurs droits fondamentaux en échange de plus de sécurité, mais pour les familles qui ont perdu un être cher, le sujet est beaucoup plus personnel. Après avoir choisi le cercueil, le beau-père du défunt embrasse des proches et reconnaît que son beau-fils s’était tourné vers le crime : « Il n’y a pas de travail ici, aucune perspective, mais il ne méritait pas ça. Pas comme ça. »
Beaucoup ont comparé la situation en Équateur à la réponse militaire au Salvador, avec la récente réélection du président Nayib Bukele et l’incarcération massive de membres de gangs et autres délinquants. Mais l’Équateur est un pays plus grand, avec près de trois fois la population du Salvador et une narco-économie en plein essor qui a conduit à des niveaux plus élevés de corruption des autorités et à des gangs plus lourdement armés. Le succès de la politique de la « mano dura » de l’Équateur est encore loin d’être assuré.