Lauréat·e : Visa d'or de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2011

Awil Salah Osman sillonne les rues détruites de Mogadiscio. Des loques pour tout vêtement, maigre et les yeux pleins d’un besoin d’attention et d’affection, rien ne le distingue des autres garçons de son âge, si ce n’est deux choses : il porte une kalachnikov et travaille pour un militaire qui reçoit armes et argent des États-Unis.

« Toi ! » hurle-t-il, son visage angélique soudainement défiguré par la colère. Au conducteur qui tentait de franchir discrètement son point de contrôle, Awil lance : « Tu sais bien ce que je fais ici ! » Il brandit son arme et lui ordonne de s’arrêter. Le conducteur ne se le fait pas dire deux fois. En Somalie, la vie ne vaut pas cher, et rien ne sert de tenter le diable face à un enfant armé de 12 ans.

Que les insurgés islamistes enlèvent les jeunes des terrains de foot pour les envoyer sur les champs de bataille n’a rien de nouveau, mais le cas d’Awil est différent. Il travaille pour le Gouvernement fédéral de transition, composante essentielle de la stratégie anti-terroriste des États-Unis dans la Corne de l’Afrique.

Selon les organisations de défense des droits de l’homme et les représentants des Nations unies, le gouvernement somalien aurait enrôlé des centaines d’enfants, si ce n’est plus. Certains n’ont guère plus de 9 ans.

Si le recours aux enfants-soldats existe de par le monde entier, le gouvernement somalien serait néanmoins l’un des « contrevenants les plus constants » et se situerait au même niveau que des groupes rebelles tristement célèbres tels que l’Armée de résistance du Seigneur.

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Certains représentants somaliens reconnaissent leur échec. D’autres soulignent la participation du gouvernement américain au financement de ces enfants-soldats. Cette allégation, confirmée par des représentants américains, soulève la question de la participation du contribuable américain à un tel système.

Si les Nations unies ont proposé des solutions spécifiques de démobilisation des enfants-soldats, le gouvernement somalien n’a pas donné suite, paralysé par des luttes intestines. Les représentants américains se disent inquiets et encouragent leurs homologues somaliens à faire preuve de plus de prudence, mais ils n’ont aucune solution pour éviter que les États-Unis financent une telle aberration.

Selon l’Unicef, les États-Unis et la Somalie sont les deux seuls pays à ne pas avoir encore ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant. Les États-Unis ont néanmoins ratifié le protocole optionnel de ladite convention, qui vise à prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants-soldats.

D’aucuns trouvent cet état de fait inacceptable, qu’il s’agisse des organisations de défense des droits de l’homme ou encore du président Obama, qui, à l’époque de sa campagne électorale, n’a pas nié l’embarras dans lequel cette situation mettait son pays. De part et d’autre de ce no man’s land, l’on voit poindre de petites têtes aux visages imberbes derrière des pièces d’artillerie lourde. Assis dans un bâtiment éventré, ils chargent des munitions plus grandes que leurs mains. Dans les quartiers près de la côte, ils contrôlent le passage des véhicules aux check-points, même s’ils parviennent tout juste à voir par-dessus le capot.

Awil peine à porter son fusil, qui pèse quelque 5 kilos. Il le change constamment d’épaule. Il reçoit parfois l’assistance de son ami Ahmed Hassan, un adolescent de 15 ans qui dit avoir été envoyé en Ouganda pour deux ans de formation militaire. Sans pouvoir confirmer ses dires, il est vrai cependant que des conseillers militaires américains participent à la surveillance de formations militaires somaliennes en Ouganda. « J’ai appris à tuer avec un couteau », explique Ahmed plein d’entrain. Sa génération n’a pas eu le choix. Après l’effondrement du gouvernement en 1991, elle s’est retrouvée à la rue. Physiquement faibles à force de famines, et psychologiquement blessés par les horreurs qu’ils ont vues, la plupart d’entre eux ne sont jamais allés à l’école, ni même jouer dans un parc. « Ce que j’aime ? » demande Awil. « J’aime mon arme. »

Endurci par la guerre, comme tant d’autres, Awil aime fumer et mâche du qat, cette feuille qui lui permet de s’évader un peu de la dure réalité.

Abandonné par ses parents qui ont fui au Yémen, il a rejoint la milice alors qu’il n’avait que 7 ans. Il vit désormais avec d’autres soldats dans une maison jonchée de paquets de cigarettes et de vêtements sales. Les certificats de naissance sont choses rares ici, et Awil ne sait pas exactement quel âge il a, même si son commandant l’estime à environ 12 ans.

À chaque repas, Awil se goinfre, ne sachant pas quand il pourra manger à nouveau. Son salaire est de 1,50 dollar par jour, mais il ne reçoit cette somme que de temps à autre. Il dort sur un matelas couvert de mouches, qu’il partage avec Ali Deeq, 10 ans, et Abdulaziz, 13 ans.

« Il devrait être à l’école, mais il n’y en a pas », dit son commandant, Abdisalam Abdillahi. D’après Ali Sheikh Yassin, vice-président du centre Elman pour la paix et les droits de l’homme à Mogadiscio, environ 20 % des troupes gouvernementales (environ 5 à 10 000 hommes au total) sont des enfants, contre 80 % du côté des insurgés. La principale faction rebelle, aujourd’hui proche d’Al-Qaida, se nomme Al-Shabab, c’est-à-dire « jeunesse » en arabe. Selon M. Ali : « Rien de plus simple que de leur laver le cerveau. Et nul besoin de les payer. »

Awil veut de l’action. Son commandant dit qu’il a déjà eu l’occasion de prouver son mérite en se battant contre les insurgés d’Al-Shabab qui le rackettaient au marché. « C’est pour ça que j’ai voulu rejoindre le Gouvernement fédéral de transition, dit-il. Avec eux, je me sens entre frères. »

Jeffrey Gettleman

Ed Ou

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