Dès notre venue au monde, nos yeux enregistrent les images qui nous entourent. Nous grandissons en utilisant nos cinq sens et notre vue nous permet de calibrer les réalités qui nous entourent, faisant naître en nous des sentiments uniques et personnels : ombre, tendresse, peur, inquiétude, angoisse, plaisir. Ces images envahissent notre inconscient. Les valeurs qu’elles comportent donnent un sens et un contexte à nos vies. Mais la magie, c’est de pouvoir les exprimer, comme le font les peintres ou les photographes. Certains se servent de leurs mains et de leurs pinceaux pour produire leur art, d’autres d’un appareil photo qui leur permet de saisir, avec leur cœur et leur esprit, l’instant décisif d’une histoire. C’est pourquoi il est si important que les photographies de cette exposition, qui retrace l’histoire récente de l’Argentine, transmettent cette sensibilité aux yeux de ceux qui les découvrent. C’est une formidable manière de raconter, sans paroles, ce que nous ne devons jamais oublier ou simplement ce que nous nous devons d’archiver pour toujours dans notre mémoire.

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Les grands-mères de la Place de Mai ont passé de longues années à ne pas oublier, à se souvenir de cette lutte qui a commencé pour chacun d’entre nous à une heure précise, un jour précis : l’enlèvement d’un fils ou d’une fille ou même d’un nouveau-né. On nous demande souvent quel est, après tant d’années, notre souvenir de ces instants si troubles, de cette souffrance et de cette peur, comment nous avons réagi face à l’incertitude. Et, naturellement, alors que nous nous rappelons, de nombreuses images apparaissent. Seules nos mémoires les ont enregistrées. Les années passant, nous pouvons compter sur les images photographiques ou filmées pour nous rappeler les agissements des acteurs dépravés d’un état terroriste : les scènes d’enlèvement et de meurtre, les agressions, les femmes aux foulards blancs tournant sur la Place de Mai, les armes, les chars, les chevaux, les chiens pour intimider et les menaces contre ces femmes, qui, pacifiquement, plaidaient pour leurs proches. L’arrivée de la démocratie a été photographiée sur cette place lorsque des milliers d’Argentins y sont descendus pour fêter le renversement des génocidaires. A l’unisson, le peuple érigea un drapeau, celui de la victoire et de la liberté. Bien plus tard, un pouvoir judiciaire unifié et exemplaire mit sur le banc des accusés les plus vils auteurs du génocide; et les flashes des photojournalistes saisirent leurs visages pétrifiés, impassibles, ironiques et austères. Depuis 21 ans, des gouvernements élus au suffrage universel se sont succédés. Tous les événements marquants de cette nouvelle page d’histoire que nous vivons ont été photographiés : la reconstruction d’un pays déchu, l’éradication de l’impunité et de la corruption, la création d’une mémoire photographique. Il reste beaucoup à faire, mais nous sommes en bonne voie. Certains donnent le meilleur d’eux-mêmes pour nous permettre d’atteindre cet objectif. Nous remercions Alejandro Reynoso et Pablo Cerolini, car, avec ces photographies, ils nous accompagnent et s’engagent dans la lutte que les grands-mères de la Place de Mai livrent depuis plus de 28 ans. Ils s’engagent vis-à-vis des générations actuelles et futures en maintenant le souvenir en vie.

Estela B. de Carlotto, Présidente de l’association des Grands-mères de la Place de Mai

Collectif de photographes argentins

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