Inspirée de quelque cinquante années de photographie, cette exposition pourrait suivre un ordre chronologique, de mes tout premiers récits photographiques dans le sud des États-Unis en 1969 jusqu’à mon retour dans le delta de l’Arkansas en 2019. Elle pourrait aussi être structurée par thèmes : la misère aux États-Unis, le sort des handicapés mentaux, le coût humain de la drogue, de la guerre, le cancer d’une femme. L’une ou l’autre approche donnerait l’impression que j’ai participé à l’élaboration de cette exposition dès le départ. C’est faux.

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J’ai commencé à chercher ces photos il y a de longs mois, sur les conseils de mon fils Sam qui avait remarqué que j’étais abattu, incapable de faire quoi que ce soit. Les ravages du Covid accaparaient mon esprit, tout comme l’Afghanistan et l’Irak, et le sentiment que d’autres guerres se profilaient. J’avais aussi du mal à accepter les fractures au sein de la société ainsi que le nouveau visage du journalisme aux États-Unis. De plus en plus de partisans de la politique identitaire suggéraient que certains photographes méritaient plus de soutien que d’autres. Que l’âge, la race, la classe sociale, le genre des journalistes sont des facteurs à considérer avant de nous envoyer en mission. Il me semblait également qu’à l’exception peut-être des photos de guerre, les images publiées dans les livres et les magazines d’actualités étaient de moins en moins prises sur le vif, et de plus en plus souvent mises en scène, construites, en collaboration avec les sujets. « Collaboration » étant apparemment le mot à la mode ces temps-ci.

C’est finalement mon fils qui m’a orienté vers une nouvelle manière de publier et de m’exprimer. « Aujourd’hui, il n’y a pratiquement personne pour te soutenir dans ce que tu penses devoir faire, alors publie tes photos sur Instagram», m'a conseillé Sam. «Instagram», ai-je répété, incrédule. Alors, tel un automate, j’ai commencé à parcourir les vieux classeurs craquelés et gondolés remplis de planches-contacts qui occupent sept ou huit étagères d’un débarras au fond de notre maison. Au fil des pages, j’ai cherché des clichés que je n’avais encore jamais montrés ni publiés, triant des centaines de moments de la vie des autres, submergé de souvenirs.

Et puis, à ma grande surprise, Jean-François* m’a téléphoné. C’est un homme qui ne se soucie pas de qui vous êtes, de votre âge, de vos origines ou de votre identité de genre tant que vous vous efforcez de raconter la vérité. C’est son intérêt pour mes photos ainsi que la bienveillance de ma femme Janine et de Sam qui m’ont remis au travail.

Eugene Richards

Jean-François Leroy, directeur du festival.

Eugene Richards

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