Le 13 novembre 2015, après deux ans passés sous le joug de Daech, Sinjar, au nord-ouest de l’Irak, est libérée. Le même jour, alors que nous sommes sur la route de cette ville dont il ne reste rien, le groupe terroriste attaque à Paris. « La simultanéité de ces événements m’a inspiré un sentiment nouveau, explique Frédéric Lafargue. Cette impression de me sentir plus en sécurité en Irak qu’à Paris. Je m’inquiétais pour les miens en France, une situation inédite. Normalement, quand je suis sur ces terrains de conflits, ce sont eux qui s’inquiètent pour moi. Tout à coup, je me suis senti plus proche de ces hommes qui se battent contre Daech. Ceux qui, depuis l’Irak, ce pays meurtri, m’ont exprimé leur compassion pour les victimes françaises. Je le savais déjà, mais je l’ai alors réalisé pleinement : notre ennemi est le même. »

Dans Sinjar ravagée, comme dans les environs de Makhmour, à 56 kilomètres au sud-est de Mossoul, les populations civiles tentent de franchir la ligne de front. Cette ligne de vie qui les sépare de leurs villages encore aux mains de Daech, et derrière laquelle se trouvent les zones tenues en partie par les peshmergas, les soldats de la région autonome du Kurdistan irakien.

À Sinjar, la plupart de ces familles sont kurdes. Seules quelques-unes sont arabes. À celles-ci, les peshmergas refusent le passage. Elles sont refoulées. En Irak, il existe de nombreuses frontières invisibles, tant entre sunnites et chiites qu’entre populations kurdes et arabes. Autour de Makhmour, se trouvent les derniers villages kurdes. De l’autre côté des tranchées vivent les Arabes.

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Lorsque Daech a pris le pouvoir, en juin 2014, beaucoup de familles arabes avaient d’abord choisi de rester. Sunnites, discriminées par le pouvoir central chiite de Bagdad, elles espéraient que le groupe djihadiste leur apporterait un semblant de sécurité. Mais de cette vie sous Daech, tous décrivent un enfer quotidien, marqué par les châtiments corporels et la mise en place d’un système de racket généralisé.

Alors qu’à Sinjar ils avaient été sommés de rebrousser chemin, ici, ces réfugiés arabes sont recueillis mais après un contrôle strict : infiltrer ces groupes pour se faire exploser au milieu des soldats kurdes est une méthode d’attaque courante. Ceux qui sont suspectés d’avoir collaboré avec le groupe djihadiste sont arrêtés. Ils seront interrogés par les services de renseignements kurdes.

La crainte d’une offensive imminente sur Mossoul ajoutée aux bombardements de la coalition précipite ces hommes, femmes et enfants sur les routes. Jusqu’à mille par jour selon l’intensité des combats. Tous le savent : s’ils sont repris par Daech, ils seront exécutés. « Ces gens étaient terrorisés, épuisés et soulagés tout à la fois… décrit Frédéric. J’aimerais que les images exposées ici permettent à ceux qui les verront de ressentir l’ampleur du bouleversement subi par ces civils… Mais certaines des scènes représentées sur ces photos ont un côté presque théâtral du fait de l’éclairage comme de l’attitude des protagonistes. Au point de me faire parfois douter de la réalité de ce que j’ai observé et photographié. Il y a dans ces situations quelque chose d’improbable, à tous les niveaux : tant du point de vue de la barbarie dont fait preuve Daech, de la terreur qu’elle provoque, que du courage et de l’humanité de ceux qui la combattent ou tentent d’y échapper. »

Flore Olive, reporter Paris Match

Frédéric Lafargue

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