Des voix s’élèvent derrière le mur
Mugur Varzariu
Il y a douze ans, lorsque le début de ce reportage a été projeté au Campo Santo, j’étais loin d’imaginer que mon travail photographique allait permettre, en quelque sorte, de dévier le cours des événements. Comme pour clore une boucle à l’endroit où tout a commencé, ici à Perpignan, je partage cette histoire : elle est la démonstration que la photographie, outre sa puissance narrative, a une valeur de preuve légale et de témoignage, vouée à faire changer les mentalités et, parfois, déclencher une issue positive.
En 2011, j’apprends qu’un mur va être construit pour isoler un quartier rom à Baia Mare, petite ville au nord-ouest de la Roumanie. Ce mur de ségrégation est une initiative du maire de la ville, Catalin Chereches. Au début, ce dernier ne cache pas ses intentions de nettoyage ethnique et de déplacement massif de la population rom de la région, se ravisant par la suite pour ne pas être accusé de racisme.
Je réalise alors que les épisodes de discrimination et de déplacements injustifiés et illégaux qui touchent les Roms dans mon pays sont bien plus répandus que je ne pouvais l’imaginer. Je continue mon enquête et, entre 2011 et 2012, je m’intéresse au plan de démantèlement du camp rom de Craica à Baia Mare, au relogement d’une partie de la population dans l’usine chimique de Cuprom, ainsi qu’aux innombrables fausses promesses de dédommagement de Chereches.
Preview
En 2013, un fonctionnaire rom de la préfecture de Constanta m’appelle à témoigner et intervenir lors du démantèlement du camp d’Eforie Sud, principalement occupé par des personnes d’origine turque. Nous nous battons et parvenons à reloger les habitants dans des abris en dur mais sans eau courante, ou dans des conteneurs adossés à une décharge.
Un an plus tard, mes témoignages photographiques à l’appui, j’engage une bataille légale en tant que représentant de la communauté rom à laquelle la mairie avait promis des logements, bataille que nous remportons en 2020.
Année après année, je continue de parcourir les villes de Roumanie telles que Focsani, Cluj-Napoca, Caracal, Constanta et Mangalia pour faire connaître les traditions, cultures et savoir-faire roms, et ainsi lutter contre l’image négative qu’ils véhiculent malgré eux. En 2021, la dernière bataille juridique commence pour exiger la démolition du mur de Baia Mare et aboutit, début 2024, à une victoire retentissante.
Ce travail au long cours met en lumière la situation catastrophique dans laquelle vit la population rom, qui se voit refuser l’accès aux besoins essentiels. C’est vrai en Europe mais particulièrement en Roumanie, pays qui ne peut plus dissimuler sa dérive raciste. Malgré ce constat, je souhaite livrer un message d’espoir aux jeunes reporters, en montrant que l’engagement, la recherche, l’étude et l’investissement ne se limitent pas au seul objectif de recueillir l’information, mais aussi à intervenir, dans le récit de l’histoire, en tant qu’agents du changement.
Mugur Varzariu