Belfast, Nicosie, Mostar, Jérusalem, Mitrovica : Des Murs et des Vies

1989 a vu tomber le mur le plus connu car sans doute le plus symbolique, celui de Berlin. Mais dix ans plus tard, de nombreuses villes sont encore divisées : Belfast, où une dizaine de murs séparent les quartiers nationalistes et loyalistes. Nicosie, où depuis vingt cinq ans les militaires de l’ONU assurent le cessez-le-feu entre les Chypriotes, turcs et grecs. Mostar, ville martyre de la guerre de Bosnie, partagée entre Croates et Bosniaques. Jérusalem, divisée entre les trois religions monothéistes. Et enfin Mitrovica, ville rongée par la haine entre Albanais et Serbes.

Ce travail a pour but de montrer la vie quotidienne de ces populations vivant dans l’incompréhension ou la haine de l’autre, celui qui est de l’autre côté du mur.

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Belfast, Irlande du Nord : des murs et des vies
En septembre 1969, lorsque l’armée installe des barrières de fils de fer barbelé et de sacs de sable pour arrêter les affrontements entre les quartiers nationaliste et loyaliste de Falls et Shankill, le lieutenant Sir Ian Freeland disait : “ Nous n’aurons pas un mur de Berlin ou quelque chose de semblable dans cette ville ”. Mais la temporaire "peace line’"de sable et de barbelés s’est transformée en mur de pierres et de tôles, et s’est multipliée. En 2000, il en existe une dizaine à Belfast sans pour autant que la tension entre les deux communautés n’ait diminué. Même si depuis un quart de siècle, le niveau de vie a considérablement évolué de chaque côté des murs dans ces quartiers populaires, les problèmes socio-économiques se sont accrus, avec un taux de chômage important, surtout chez les jeunes. Les actes de vandalisme , les vols, la drogue et les crimes font que, paradoxalement, ces quartiers autour des soi-disant ‘peace line’ sont les plus dangereux de la ville. Une génération a déjà grandi avec ces murs et les enfants de cette génération grandissent dans la haine de celui qui vit de l’autre côté. Comment veut-on faire grandir la prochaine génération?

Nicosie, Chypre : des murs et des vies
Le 24 décembre 1963, Chypre connaît une montée des violences entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs. Le 30 décembre, il est décidé de délimiter une zone neutre tout le long de la ligne de cessez-le-feu, appelée “ligne verte”, séparant les zones occupées par les deux communautés à Nicosie. Le coup d’Etat avorté du 15 juillet 1974 contre Mgr Makarios par les extrémistes grecs, soutenus par le régime des colonels à Athènes, provoque le débarquement de l’armée turque en juillet-août 1974, l’objectif étant d’intégrer l’île à la “mère patrie” contre la volonté des deux communautés. En 2000, environ 30,000 militaires turcs contrôlent toujours 37% du territoire se situant au nord-est de l’île. Nicosie est donc séparée par un mur et des fils de fer barbelé. Le mur traverse la vieille ville suivant le tracé des rues de Paphos et Hermès. Large d’une vingtaine de mètres ; ce no man’s land est bordé de fenêtres et de centaines de meurtrières d’où les militaires des deux communautés s’observent. La population est déchirée et les échanges sont quasiment inexistants.

Mostar, Bosnie-Herzégovine : des murs et des vies
En 1993-94, la guerre croato-musulmane fait 2.000 morts à Mostar et aboutit au printemps 94 au partage de la ville en deux secteurs. L’un, à l’ouest, regroupant 4.000 Croates, l’autre à l’est avec 30.000 Musulmans. Seulement 10% de la population de 1991 vit dans le même logement ; les autres ont soit fui la ville, soit changé de rive. Depuis juillet 1994, Mostar est placée sous l’administration de l’Union Européenne et en décembre 1995, une force internationale de l’OTAN (SFOR) se déploie. Depuis la fin de la guerre, la tension entre les deux communautés reste vive. Les efforts de l’Union Européenne pour réunifier la ville échouent devant un nationalisme croate voulant faire de Mostar-Ouest la capitale de l’illégale “République Herzog-Bosna”. Les échanges entre les deux rives de la Neretva sont quasiment inexistants et les ponts flambant neufs qui enjambent la rivière, financés par la Communauté Européenne, restent déserts.

Jérusalem, Israël : des murs et des vies
Jérusalem, sous autorité israélienne depuis 1967, reste l’enjeu principal dans la région puisque Israéliens et Palestiniens la revendiquent pour capitale. Farouchement opposé aux exigences palestiniennes sur la ville, le maire Ehud Olmert, élu grâce au soutien des juifs orthodoxes et proche de Benyamin Netanyahu, juge inconcevable qu’il puisse exister deux municipalités à Jérusalem. Les contrôles stricts effectués par les militaires israéliens rappellent pourtant la division entre les quartiers juifs et arabes. Un accord sur la ville sera-t-il jamais possible ? La ville qui compte 560,000 habitants est très majoritairement juive. Expropriations et installations en force de colons font apparaître de nombreuses implantations dans Jérusalem-Est. La population vit dans des “quartiers ghettos”. Des ghettos où les uns vivent repliés sur ll'intégrisme religieux et la peur de l’attentat et où les autres sont en mal d’identité.

Mitrovica, Kosovo : des murs et des vies
Le 5 juin 1999, la signature d’un accord entre la Yougoslavie et l’OTAN sur le départ des troupes serbes au Kosovo met fin aux bombardements et donne le signal d’un retour à la paix. Les Albanais peuvent rentrer chez eux et la sécurité des Serbes vivant au Kosovo doit être assurée par l’OTAN. Mitrovica, ville située à une quarantaine de kilomètres au nord de Pristina, est la dernière ville évacuée par les militaires serbes. Lorsque les Albanais commencent à revenir, ils trouvent leurs maisons dévalisées et brûlées. En représailles, ils s’attaquent aux maisons appartenant aux Gitans et aux Serbes. De violents affrontements ont lieu et les militaires français en charge de la sécurité de la ville doivent s’interposer. Un an plus tard, suite à de nombreuses erreurs de la KFOR et de l’administration de l’ONU pendant l’automne, la situation s’est dégradée et bloquée. Mitrovica est devenue une ville divisée. Les Albanais travaillent à reconstruire leur pays et attendent une indépendance qui n’est pas prévue dans l’accord signé par Belgrade avec l’OTAN. Seule une renégociation du Traité pourrait voir aboutir leurs espérances. Cette renégociation, impensable pour Belgrade, ne pourra se faire qu’avec le successeur de Milosevic, attendu par les pays de l’OTAN. Les Serbes se sentent assiégés dans la partie nord de la ville. Ils sont pourtant adossés à la Serbie qui ne veut plus les accueillir. Au quotidien, Serbes et Albanais vivent repliés sur leur haine. Les contacts sont inexistants et l’avenir ne semble pas propice à une réconciliation.

Frédéric Sautereau

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