Lauréate du Prix Pierre & Alexandra Boulat 2019

Les femmes sont marginales et marginalisées en prison. Avec un effectif de 2 485 au 1er octobre 2019, elles ne représentent que 3,5 % de la population carcérale en France. Minoritaires, leurs conditions d’incarcération ne sont pas pour autant meilleures que celles des hommes. À l’inverse, elles sont souvent très isolées d’un point de vue géographique, familial et social.

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En octobre 2017, j’ai passé deux semaines dans le quartier femmes du centre de détention de Joux-la-Ville pour photographier les coulisses d’un tournage de fiction ayant pour héroïnes onze femmes détenues. Peu à peu, un lien s’est créé, et au fil des discussions elles se sont livrées : Magalie, Adeline, Rahmouna, Laura… Toutes en fin de détention, à fleur de peau, sans contacts avec leurs familles depuis des années, elles étaient certes impatientes de sortir, mais plus effrayées encore. Nous nous sommes donné rendez-vous dehors. De lettres en textos, maintenir le contact n’a pas été simple. Certaines m’ont appelée à leur sortie, d’autres bien des mois plus tard. Elles sont quatre à avoir accepté d’être suivies dans leur quotidien.

Nous nous sommes vues, souvent, longuement. Magalie, Adeline, Rahmouna et Laura sont des femmes aux vies brisées, broyées par les violences d’abord, puis par un système pénitentiaire inadapté. Il n’existe en France que cinq centres pénitentiaires accueillant des femmes. Quatre d’entre eux sont situés dans le nord de la France, souvent à des centaines de kilomètres de chez elles. Elles ont peu de visites, sont ostracisées, blâmées, au-dehors comme au-dedans. Quasiment 100 % des détenues ont été victimes de violences (enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France, 2003) et 13 % sont illettrées. Leurs peines étant médicalisées à outrance, beaucoup sortent dépendantes aux produits de substitution si ce n’est aux anxiolytiques. Elles n’ont pas ou peu de suivi à la sortie. 65 % des détenues libérées après une peine sèche retournent en prison dans les cinq ans.

Pour ces femmes fragilisées par l’enfermement, en déficit d’estime de soi, la réinsertion est un véritable chemin de croix, entre lourdeurs administratives, rejet de la société et solitude.

Axelle de Russé

Merci à Marina de Russé, Elsa Fayner ainsi qu'à Fabienne Périneau coauteur, et Arnaud Sélignac réalisateur du film « Femme en peines », qui m'ont permis de rencontrer ces femmes.

Adeline Adeline a 36 ans. Elle a passé quatre ans derrière les barreaux, de 2013 à 2017. Elle est mère de trois enfants. L’aîné, Enzo, a 18 ans et vit depuis peu avec sa mère, après avoir grandi de foyers en familles d’accueil. La deuxième, Louisa, née en prison, a été placée. La troisième, Charlie, voit le jour le 7 juillet 2018, six mois à peine après la libération d’Adeline. Pour la jeune femme, c’est un électrochoc : sa fille, grande prématurée, a failli mourir. Elle devient alors sa raison de vivre. Transformée, Adeline veut désormais se réinsérer, réussir là où elle a échoué avec les deux plus grands. Elle contacte un foyer pour mères célibataires et décide de se « ranger ». Aujourd’hui, elle vit avec deux de ses enfants et son nouveau compagnon. Elle a trouvé un emploi saisonnier dans les vignes.

Magalie Magalie est sortie le 11 octobre 2018 après quatre années de prison. Elle est en probation, suivie par un SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation). Pendant quelques mois, elle tente de se réinsérer. Elle s’installe à Troyes, loin de sa ville natale, Verdun, pour ne pas « replonger ». Elle trouve un appartement, refait son CV, et travaille même quelques semaines dans les vignes. Mais de mauvaises rencontres en mauvais démons, elle sombre, sous les yeux de ses deux enfants. Après avoir vécu dans la rue et des squats, elle trouve refuge dans un foyer pour sans domicile fixe en janvier 2020.

Laura Laura a été libérée le 13 avril 2018 après dix-huit mois d’incarcération. Une sortie sèche, sans suivi, pourtant elle sort dépendante aux produits de substitution. Elle rencontre un jeune homme et part s’installer avec lui près de Lyon. Elle est retrouvée agonisante le 12 mai 2019, et meurt à l’hôpital quelques heures plus tard, le corps roué de coups si violents qu’elle en était méconnaissable. À Joux-la-Ville, c’était à 20 ans la plus jeune détenue. Les autres filles ne l’ont jamais appelée Laura, toutes la surnommaient « la petite ».

Rahmouna Rahmouna a 56 ans. Condamnée à vingt ans de prison, elle en a purgé quinze. Elle est sortie le 12 janvier 2019 grâce à une remise de peine et une conduite exemplaire. Incarcérée à Joux-la-Ville, à plus de 800 km de chez elle, cette mère de deux enfants, et grand-mère, n’a reçu aucune visite au cours des dix dernières années de sa détention. Comme beaucoup de femmes détenues, la rupture du lien familial est totale. En quinze ans, elle a eu cinq permissions de trois jours pour « renouer les liens familiaux » et « recherche d’emploi », mais rien que l’aller-retour en train prenait une journée. Algérienne, elle était détentrice d’un titre de séjour de dix ans au moment de son arrestation, mais il n’a pas été renouvelé pendant sa peine malgré ses nombreuses demandes. Elle se retrouve dehors, sans papiers, sans titre de séjour, sans compte en banque, avec un pécule de sortie de 700 euros.

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Axelle de Russé

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Jeanne Frank
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