Vista Hermosa (« Belle Vue ») est l’une des prisons les plus connues du Venezuela. Construite dans les années 1950 pour accueillir 650 détenus, elle en abrite aujourd’hui trois fois plus. Dans ce pays gangrené par la violence, la population carcérale ne cesse d’augmenter et les accrochages avec les surveillants deviennent fréquents. Face à l’inaction des autorités, la situation s’est détériorée et le chaos ne semble plus très loin. Des 34 prisons que compte le pays, seules 7 sont contrôlées par les autorités, les autres sont aux mains des détenus.

En 2005, Wilmito, le « Pran », a pris le contrôle de Vista Hermosa par la force. Aujourd’hui chef incontesté de la prison, il est au cœur d’un réseau de trafic de drogue, de violence et de prostitution qui s’étend bien au-delà des murs d’enceinte. À l’extérieur, les patrouilles de la Garde nationale (force militaire créée par Hugo Chávez) ; à l’intérieur, des détenus qui vivent et meurent dans ce monde à part qu’ils ont créé.

Condamné à 10 ans de prison pour enlèvement et 16 pour meurtre, Wilmito prétend diriger Vista Hermosa et ses 2 000 détenus d’une façon bien plus humaine que ne le font les autorités carcérales vénézuéliennes, lesquelles ont été largement critiquées par les groupes de défense des droits de l’homme pour les conditions de vie déplorables et la corruption qui règnent dans les prisons du pays. La violence liée aux gangs sévit dans les prisons du Venezuela : selon l’Observatoire vénézuélien des prisons, 591 détenus ont été tués en 2012 et davantage en 2013. Depuis 1999 (après l’élection d’Hugo Chávez à la présidence), ce sont plus de 5 000 détenus qui ont été tués, soit plus qu’au Mexique, Brésil, Argentine et Colombie réunis.

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Entre la chaleur étouffante, le martèlement des rythmes technos et le fatras de DVD, de médicaments ou d’en-cas à vendre, Vista Hermosa a tout d’un bidonville animé. On y trouve des esplanades pour danser et même des salles de bal pour les fêtes. Les femmes et enfants des détenus ont le droit de circuler librement dans ces zones. Les barreaux ont été arrachés et les murs fraîchement repeints. Comme dans toute société, Vista Hermosa a ses propres sous-cultures : ici le coin ordonné des chrétiens évangéliques, avec prières, louanges et dur labeur ; là les quartiers réservés aux homosexuels, où ils peuvent vivre sans crainte d’être harcelés.

Vista Hermosa constitue une sorte de condensé du Venezuela, un microcosme national. Familles et fêtes, violence et désespoir, tout y est. Si la drogue et la violence y sont encore répandues (il y a des dizaines de toxicomanes, détruits par le crack ou autres drogues, avachis dans des hamacs ou sur des tas d’ordures, ou encore des délinquants sexuels, tenus à l’écart du reste des détenus), elles sont strictement contrôlées. La société des détenus de Vista Hermosa dispose d’ailleurs de sa propre prison, la Guerrilla, où sont incarcérés les « gandules », ces renégats qui ont violé les lois non écrites de la prison et qui sont désormais surveillés jour et nuit par des détenus-geôliers armés de pistolets, de revolvers gros calibre ou de fusils automatiques.

Selon Wilmito, Vista Hermosa générerait un bénéfice annuel de l’ordre de 3 millions de dollars, fruit des activités illégales et des taxes que versent chaque semaine les détenus au Pran. Il va sans dire que rien de tout cela ne serait possible sans une certaine collusion de fonctionnaires corrompus qui ferment les yeux sur les entrées de stupéfiants et d’armes. Tous, même le Pran, les craignent. « Les armes sont là pour nous protéger de la Garde nationale », explique-t-il.

*Sebastián Liste * Exposition coproduite par la Fondation Photographic Social Vision.

Sebastián Liste

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