Mon travail raconte ce qu’est la maladie mentale aujourd’hui. Dans les chambres de l’esprit est le quatrième chapitre sur la liberté perdue, après Encerrados, Paco et Prigionieri, poursuivant ainsi ma longue recherche et mon étude approfondie sur le monde des personnes invisibles.

Entrer dans le monde de la souffrance psychique est une expérience complexe, délicate et exigeante, et la représenter à travers la photographie l’est encore plus. Qui sont les « fous » aujourd’hui ? Que ressentent-ils ? Pour répondre à ces questions, j’ai dû m’immerger dans leur réalité. Leurs gestes et leurs regards sont perdus dans un monde intérieur, un monde souvent coupé de leur environnement qu’ils perçoivent comme hostile voire effrayant, un monde qui peut les conduire à l’autodestruction.

J’ai choisi de commencer mon travail par l’Afrique. C’est un continent où les pathologies mentales sont reconnues depuis peu de temps, et il est difficile de savoir combien de personnes en souffrent et où elles vivent. Elles errent souvent dans les rues des mégapoles ou restent cachées dans un village retiré. Les troubles mentaux sont encore souvent perçus comme un mal non humain, surnaturel, parfois dangereux. C’est le cas dans les pays du nord-ouest de l’Afrique (Bénin, Togo, Côte d’Ivoire), où les sorciers vaudous des villages attachent les malades mentaux aux arbres car ils considèrent que ce sont des démons. Heureusement, il existe des gens formidables comme le missionnaire Grégoire Ahongbonon qui depuis vingt ans tente de leur rendre leur dignité dans les centres d’accueil qu’il a fondés.

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J’ai commencé en 2018 en Zambie et au Kenya, me rendant dans les hôpitaux psychiatriques et me confrontant aux réalités les plus dures de la maladie, des toxicomanes aux malades abandonnés dans la rue, enfants comme adultes. Je suis allé dans les bidonvilles de Kibera et de Mathare à Nairobi, au Kenya, et dans le seul hôpital psychiatrique de Lusaka, en Zambie. Là-bas, j’ai vu des patients enfermés dans de petites cellules, immobiles pendant des heures, l’écume à la bouche, ou bien livrés à eux-mêmes, arpentant les rues et se réfugiant dans les marchés. Certains étaient nés ainsi, d’autres étaient devenus fous à cause d’une consommation immodérée de drogues, d’autres encore avaient perdu leurs repères spatiaux et temporels à la suite d’un traumatisme émotionnel.

Durant la crise sanitaire, j’ai travaillé en Italie, de l’admission d’urgence dans les cliniques psychiatriques à la maladie mentale en prison. J’ai passé des journées entières avec les patients : pendant leurs crises aiguës et pendant de nombreux après-midi où nous nous asseyions de longs moments sur un canapé ou jouions aux cartes. Pendant tout le temps où je n’ai pas pris de photos, j’ai appris à les connaître, à les regarder, à essayer de les comprendre.

Puis en 2021, je suis allé au Bénin et au Togo, pour poursuivre le chapitre sur l’Afrique qui est présenté dans cette exposition. J’ai toujours pensé que le travail d’un photojournaliste qui raconte des histoires nécessite de la patience et du courage pour que ses émotions correspondent à la réalité. Avant de prendre une photo, j’attends, j’essaie de suivre le temps de la personne que j’ai en face de moi. Qui est cette personne ? Que ressent-elle ? Souffre-t-elle mentalement ?

Valerio Bispuri

Valerio Bispuri

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