**La concurrence des amateurs est-elle encore d’actualité ? Le rêve du photoreporter est-il entamé ? **

En compétition depuis ses origines avec le cinéma puis la télévision, le photojournalisme semble avoir toujours été en crise. La révolution numérique a alimenté la représentation menaçante d’une concurrence des amateurs, susceptible de détruire jusqu’à sa raison d’être.

Grâce aux téléphones portables, plusieurs milliards d’individus sont désormais équipés d’appareils de prise de vue, connectés aux réseaux sociaux. Où que se passe un événement sur la planète, on a pu penser qu’il y aurait toujours un témoin susceptible de produire « la première image » – celle qui était le but des photoreporters.

Pourtant, si l’on confronte cette inquiétude à la réalité des pratiques, de tels documents sont restés l’exception. Il n’y a pas eu de raz-de-marée de la photographie amateur. Tout le monde n’est pas devenu photographe.

Pourquoi l’exercice banal de la collecte de témoignages a-t-il pu conduire, lorsqu’il s’agissait de documents visuels, à la légende d’une déstabilisation du photojournalisme ?

La crise économique ou l’utopie du journalisme citoyen ont conduit les médias à construire un récit autonome, alimenté par les craintes bien réelles des professionnels, fournissant l’apparence d’une réponse à cette question.

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La crise économique ou l’utopie du journalisme citoyen ont conduit les médias à construire un récit autonome, alimenté par les craintes bien réelles des professionnels, fournissant l’apparence d’une réponse à cette question.

Le caractère aussi scandaleux que spectaculaire de l’iconographie d’Abou Ghraib a joué un rôle inaugural dans l’élaboration d’un storytelling hypermoderne. De fantasmes en confusions, avec la participation assumée des agences et le tocsin régulier des associations professionnelles, l’image amateur, tel un monstre de papier, est devenue un bouc émissaire opportun pour désigner des coupables.

Avec l’affaiblissement des utopies participatives du Net, remplacées aujourd’hui par la critique du big data, la légende de la concurrence des amateurs s’efface à son tour. Le dangereux adversaire redevient un « voisin » auteur d’un témoignage de proximité, que les journaux choisissent ou non d’exploiter – on l’a vu lors du récit autour de l’image de Darius, le jeune Rom lynché retrouvé inconscient. Ce n’était pas la diffusion des smartphones qui rendait les amateurs menaçants, mais la croyance dans l’émergence d’un univers médiatique alternatif.

Le mythe de l’intrusion des amateurs restera comme l’une des manifestations emblématiques d’une période de bouleversements techniques et économiques mettant à l’épreuve les fondamentaux du journalisme.

*Samuel Bollendorff et André Gunthert *