Durant toute ma vie professionnelle, je n’ai cessé de passer d’une zone de conflit à une autre. Mais l’année dernière, pour ce projet, je me suis concentré exclusivement sur ces hommes et ces femmes dont la vie a été anéantie par la guerre en Afghanistan, un pays où je me rends depuis plus de dix ans.

Voilà quatre ans, depuis les élections mouvementées de 2009, que je n’ai plus l’autorisation de travailler dans mon propre pays, l’Iran. L’Afghanistan est une destination tout aussi tumultueuse que Téhéran. Dans mon travail pour l’agence Getty Images, le peuple afghan a retenu toute mon attention. Cela fait quatre années que je vis parmi eux et les Afghans font désormais partie de mes souvenirs, bons et mauvais, leurs bonheurs et leurs tristesses sont devenus ma principale préoccupation.

Depuis un siècle, l’Afghanistan est impliqué dans des guerres et des conflits divers, provoqués par sa politique interne, par la religion ou par des puissances étrangères tentées par la conquête de cette terre. Des débris de chars soviétiques jonchent encore les rues, les montagnes et les vallées. Après la guerre avec l’URSS, les communistes ont pris le pouvoir, et c’est alors que les musulmans conservateurs ont commencé à s’organiser afin d’y accéder eux-mêmes. Ils sont devenus à leur tour une source de conflit lorsque la guerre a éclaté entre Al Qaïda et les civils du pays.

Après le 11 Septembre, les yeux du monde entier se sont tournés vers l’Afghanistan, et la dynamique de la guerre civile a changé une fois de plus. Cette fois, le peuple afghan était confronté à une guerre d’un genre nouveau, celle que menait la coalition des pays étrangers contre Al Qaïda.

Nous avons vu d’innombrables images de l’Afghanistan, principalement de soldats et de travailleurs humanitaires dans tout le pays, mais à mon avis elles ne rendent pas compte de la réalité.

L’Afghanistan authentique, on peut le trouver dans le portrait d’un enfant, qui fixe mon objectif sans un sourire. Quand on est photojournaliste dans ce pays, on finit par s’habituer à voir ces visages. Mais pour moi, le véritable Afghanistan serait plutôt le sourire de ces mêmes gamins quand ils prennent des photos avec mon appareil, ou, à l’inverse, le visage de ces femmes désespérées qui s’immolent par le feu, ou encore celui des victimes des mines.

Je n’ai jamais réussi à savoir à quel point cette vie traumatisante a blessé tous ces gens, car ils restent toujours impassibles devant mon objectif. Pendant toutes ces années, je me suis posé la même question : quel est le résultat de tant de guerres ? Chaque fois que je croise dans la rue un jeune Afghan, aussi malheureux qu’un enfant européen est heureux, cette question résonne à nouveau dans ma tête.

Mais en Afghanistan, il n’y a pas que la guerre. Il y a aussi l’influence de la culture perse et moghole dans l’architecture et les costumes traditionnels. Contraste entre cette culture orientale si paisible et la brutalité de la guerre.

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Que pourraient bien penser les personnes que je photographie de ceux qui verront ces images et du monde où ils vivent ? Je me le demande parfois. Imaginez, si vous étiez né en Afghanistan… De quels yeux verriez-vous le monde, les pays qui pour vous n’ont jamais existé que par leurs armes et leurs troupes ?

Il me semble qu’il y a entre nous tous un lien mystérieux et profond. Même sans nous voir, nous sommes capables d’éprouver de l’empathie, de parler d’une génération désespérée, des larmes des enfants, de la violence et du silence de toute une nation. Tout au long de ces jours de guerre, si solitaires, si difficiles, je n’ai cessé de me dire qu’en tant que photojournaliste, je porte une responsabilité, celle d’explorer certaines réalités.

Il y a douze ans, quand le président George W. Bush a déclaré que l’Afghanistan serait le champ de bataille où le terrorisme serait définitivement écrasé, personne ne se doutait que cette guerre continuerait pendant toutes ces années, et que le monde resterait incapable de faire disparaître les groupes d’islamistes extrémistes, et toute leur idéologie avec. Cette guerre n’est ni la première ni la dernière en Afghanistan. Depuis plus d’un demi-millénaire, l’histoire du pays est jalonnée de conflits avec l’Occident. Une première bataille a eu lieu dans la province du Helmand entre les forces britanniques et afghanes en 1388 – et le Helmand est toujours d’actualité aujourd’hui…

J’ai été photographe en Iran pendant de nombreuses années, et je couvrais aussi les turbulences des pays voisins. En 2009, cette effervescence a gagné l’Iran, avec les grandes manifestations qui ont suivi les élections présidentielles. J’ai alors été arrêté et jeté en prison pour avoir photographié les événements de la rue. Une fois libéré, j’ai accepté la proposition de mon agence de partir pour l’Afghanistan, et depuis, je continue à amasser ces souvenirs qui laissent un goût doux-amer. Comme nous partagions la même langue, j’ai compris que je pouvais vivre avec les Afghans, les comprendre, rire et pleurer avec eux.

Même si ce n’est pas une opinion largement partagée, je crois que le retrait des troupes étrangères fera de l’Afghanistan un pays plus sûr. Quand ce sera chose faite, tous ces gens que j’ai photographiés depuis dix ans pourront enfin commencer à reconstruire leur vie.

Majid Saeedi

Majid Saeedi

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