« La mort de tout ancien signifie la perte de traditions, de connaissances ou de rites sacrés connus de nul autre ; aussi est-il important de recueillir immédiatement les informations pour les générations futures, en respectant le mode de vie de l’une des grandes races de l’histoire de l’humanité, sous peine de passer à tout jamais à côté de l’occasion. La présente tâche est le fruit de cette nécessité. »
Edward Sheriff Curtis
Citation tirée de l’avant-propos, Volume I, “The North American Indian”, 1907.

Les Maasaï, dont le nombre s’élève à près de 400 000 aujourd’hui, forment une tribu pastorale occupant le sud du Kenya et le nord de la Tanzanie. Cette puissante caste guerrière régnait sur les plaines de la vallée du Rift jusqu’à la colonisation du Kenya par les Britanniques à la fin du XIXe siècle. Relégués dans une réserve isolée pendant les six décennies que dura l’ère coloniale, les Maasaï n’en pratiquent pas moins, aujourd’hui encore, les traditions qui constituent le ciment de leur tribu depuis des siècles. Aujourd’hui, ce peuple compte parmi les plus connus du continent africain, mais en réalité leur culture est menacée de pauvreté et d’occidentalisation.

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Depuis la progression des Massaï vers les régions situées au sud du Nil, leur société repose sur la répartition de ses membres en diverses catégories d'âge, chacune se voyant attribuer certaines responsabilités. Les jeunes garçons mènent le bétail jusqu'aux premières années de l'adolescence, moment où la circoncision marque leur passage à la catégorie des guerriers. Après un "service militaire" d'une durée de sept ans, les guerriers peuvent prendre leur retraite et se marier. Les femmes et les jeunes filles s'occupent de toutes les tâches domestiques, telles que la corvée d'eau, la préparation des repas et le ramassage du bois.

Les anciens prodiguent leurs conseils, résolvent les différends et veillent aux besoins des troupeaux. Le passage d'une catégorie d'âge à une autre est marquée par des cérémonies et des rites. Le livre d'Elizabeth Gilbert, "BROKEN SPEARS: A MAASAI JOURNEY" ("Lances brisées : Voyage en pays maasaï"), est le produit d'un voyage de quatre ans aux quatre coins de leur réserve tribale. Les images rapportées par la photographe évoquent les aspects de la vie des Maasaï les plus menacées par l'éducation, l'agriculture, et la subdivision des terres.

À première vue, les images sont intemporelles, mais certains détails modernes se font jour qui ne trompent pas : une paire de basket, une montre, un T-shirt. Ces objets sont là pour rappeler que les Maasaï vivent dans le temps présent, et qu'il se construisent une identité moderne tout en ayant conscience que leurs traditions doivent être préservées. Les anciens sont les plus résolus à perpétuer la culture maasaï ; lorsqu'ils disparaîtront, le passé s'en ira avec eux. Les Maasaï en sont bien conscients. En permettant qu'on les photographie dans le but de préserver leur culture, ils admettent que cette dernière touche à sa fin ; c'est l'aveu que l'identité maasaï tant idéalisée depuis deux siècles est en train de s'éteindre. Ces images sont des dépêches d'un monde qui se volatilise ; elles ont été prises dans le but de fixer sur pellicule un mode de vie en passe d'être englouti par l'histoire.

Liz Gilbert

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