Le silence. Un silence, dense et profond, sourd de ses portraits ; le silence des moines assemblés et recueillis dans le chœur du Couvent des Minimes, le silence des modèles dans l’intimité du studio ; le silence qui isole mais que l’on partage, le silence avant les premiers murmures du dialogue. Pas le silence du vide mais, au contraire, le silence de l’introspection, celui-là même qui conduit à la rencontre, à la compréhension de l’autre. Car le dessein de Pierre Gonnord concerne bien cette approche particulière et personnelle, faite d’échanges, de rigueur et d’analyse qui permet de décrypter une société si confuse et devenue si complexe qu’elle nous échappe. On retrouve chez lui le souci obsédant d’arracher son modèle à l’oubli, de tromper la mort, mais aussi l’urgence qu’il ressent à inscrire son personnage dans une histoire et une culture spécifiques. Pierre Gonnord propose volontiers une alternative au mode de représentation usuelle ; ainsi, refusant de s’intéresser à ces passants au visage flou, à ces silhouettes éphémères découpées par l’espace de la ville, il s’attache à rechercher, tel le peintre avec son carnet de croquis, des personnages insensibles aux modes et aux codes de la société de consommation, ceux que la nature, l’origine sociale ou la personnalité rendent plus marginaux ou singuliers. Et il leur offre le temps du dialogue, de la pose et de la réflexion.

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Alors, reprenant la légende selon laquelle Léonard de Vinci assure que «la première peinture fut seulement une ligne qui entourait l'ombre d'un homme faite par le soleil sur le mur et que la deuxième étape est de montrer un corps en relief et se détachant sur une surface plane», il s'astreint à la sobriété et s'emploie à inscrire ses personnages dans un fond uniforme et vierge de tout élément descriptif, peint le plus souvent dans des tonalités foncées pour favoriser le contraste avec l'illumination du visage. Il élabore des portraits en buste proposés frontalement ou de trois-quarts face, le regard ouvertement tourné vers l’appareil, bannissant tout sourire ou toute trace d'émotion visible pour accroître la tension, comme une offrande de l'âme dans ce jeu d'introspection réciproque entre l'artiste et son modèle. Tous apparaissent très sobrement éclairés par deux sources lumineuses directes, sans artifice, qui soulignent les contours du visage et adoucissent les traits saillants, car il n'est pas question de s'adonner aux artifices des ombres portées pour donner du volume aux personnages. La tension naît d'une écriture photographique parfaitement maîtrisée qui repose sur l'usage d'un cadrage très serré, inscrivant le visage dans un équilibre de composition remarquable s'appuyant sur les lignes de force du format carré et la répartition homogène des zones d'ombre et des espaces lumineux. Pierre Gonnord érige en outre en principes le vide, la monochromie et la neutralité du décor afin de concentrer l'attention sur le modèle dans sa vérité propre ; et, dans le but de poursuivre sa quête de la beauté originelle, sans tache, que la société n'a pas encore dépravée, il peint ses modèles dans la nudité de leurs corps ou revêtus avec sobriété de vêtements ordinaires. Enfin, pudeur et gravité surgissent de la série sur les portraits de gitans de Perpignan, série dans laquelle Pierre manifeste à la fois son engagement artistique et ses préoccupations sociales. Personnages parmi les plus fragiles sans doute au regard de la société, mais membres du clan qui les enserre et les protège, les gitans se livrent, se dévoilent à peine et pourtant leur présence irradie ces œuvres – tableaux qui s'affirment dans l'espace ; on ressent le respect et l'admiration de l'artiste envers la complexité de ses modèles. Arrêt sur image, temps suspendu… Pierre Gonnord après avoir, selon ses propres termes, «effleuré la spiritualité, le sublime qui est en nous», confesse ainsi sa foi obstinée dans l'humanité.

Agnès de Gouvion Saint-Cyr

Commande du Centre national des arts plastiques – Ministère de la Culture et de la Communication

Pierre Gonnord

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