Que cela me plaise ou non, lorsqu’on évoque ma carrière de photojournaliste (1951-2004), la discussion revient invariablement sur la guerre du Vietnam.

C’est vrai : le Vietnam a été au centre de ma carrière de photographe. Envoyé là-bas par l’Associated Press de 1962 à 1973, après mes premières expériences de correspondant étranger au Congo et en Algérie, je me suis retrouvé dans une position enviable pour un photographe d’agence. Au plus près d’une histoire, l’Histoire mondiale qui se déroulait là, sous nos yeux, et dont résultaient les photos les plus saisissantes et les plus émouvantes. Celles qui feraient la Une des journaux dans le monde entier, presque chaque jour pendant des semaines, des mois, durant plus de dix ans.

À Saigon, j’étais le primus inter pares, le directeur photo d’AP, travaillant avec une équipe de photographes vietnamiens et de toutes les nationalités. Suivant l’intensité de la guerre, parfois nous n’étions qu’une poignée, parfois tout un régiment. C’est une époque où se sont tissés des liens et de fortes amitiés qui durent encore aujourd’hui. Cinq d’entre nous, à AP, y laissèrent leur vie, et presque chacun d’entre nous fut blessé au moins une fois (moi-même en 1967).

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Avec le Vietnam vinrent aussi la reconnaissance, les promotions, les augmentations de salaire, un premier Pulitzer, le Capa et bien d’autres récompenses. Je suis l’un des rares photographes vivants ayant travaillé toute sa vie professionnelle pour la même agence, l’Associated Press, de 1956 à 2004. Je partageais mon temps entre la photographie, travaillant essentiellement seul ou dans de petites structures, et ma responsabilité de directeur photo.

Je dois admettre que la « photographie pure » n’a jamais été ma passion. J’ai toujours utilisé la photographie comme mon moyen d’expression en tant que journaliste d’une agence de presse. Je pouvais passer au témoignage écrit, surtout lorsque les images ne racontaient pas toute l’histoire. J’adorais le grand reportage mais, dans le monde des agences télégraphiques de l’époque, il n’y avait pas la capacité nécessaire pour transmettre et publier de tels travaux. J'ai principalement travaillé en noir et blanc (ce que je préfère, encore aujourd’hui) car les journaux clients d’AP n’imprimaient qu’en noir et blanc. Et lorsqu’ils passèrent à la couleur, je fis de même, ainsi que l'Associated Press.

Puis, à la fin des années 70, on me fit l’offre tentante de succéder au patron de Londres, ce que je pris comme une inversion des rôles : je ne serais plus envoyé à Londres, Paris ou New York pour couvrir des crises, mais ce serait à moi de dépêcher les autres vers les émeutes ou les guerres… La transition du métier de photographe à celui de chef de la photo pour l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique et les anciennes colonies britanniques fut douloureuse… Cette douleur, je la ressens encore aujourd’hui. Je passais lentement à ma deuxième carrière de directeur photo et de responsable. Pendant quelques années, j’étais le « numéro 2 » à Londres, tout en assurant des missions en tant que photographe, au Moyen-Orient, en Afrique et partout en Europe – mais j’agissais plutôt en « pompier » et ne pouvais traiter en profondeur les sujets complexes, tel que le conflit du Moyen-Orient.

Je compris rapidement que je ne pourrais gérer à la fois une organisation aussi complexe que la distribution et le fonds photos européen d’AP et prendre le temps d’aller sur le terrain avec les copains. J’ai dû remiser mes appareils photo. Pendant les vingt-cinq années qui suivirent, je participais au douloureux apprentissage des nouvelles technologies développées, à l’origine, par les agences. Les premiers écrans et les premiers claviers, les premières messageries instantanées, les fax, les premiers scanners de pellicule, puis le premier labo numérique qui coûta des millions… Et, chaque année, de plus en plus de gadgets qui précédèrent la transmission instantanée de photos numériques… Il était difficile de produire rapidement un flux continu de photos intéressantes tout en mettant au point les meilleurs outils pour la profession. Il fallait parler technique, argent, négocier avec les syndicats, résoudre les sempiternels problèmes de manque de personnel, d’argent, de matériel. Notre mission principale n’en restait pas moins de fournir à temps les meilleures photos d’actualité.

Peu à peu, en vieillissant, je me suis éloigné du chaos journalier que j’avais tant aimé. J’ai pris ma retraite en 2004, me préparant à une nouvelle carrière de « dilettante photographe ». En mai 2005, à Hanoï, une rupture d’anévrisme m'a laissé paraplégique, confiné dans un fauteuil roulant. J’espère que, depuis ce nouveau poste d’observation, je pourrai continuer à explorer le monde et à assister à l’émergence d’un photojournalisme fort, issu des changements perpétuels du monde du reportage.

Horst Faas

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