Pour les bureaucrates russes, l’Arctique est « la zone d’inconfort absolu » : c’est ainsi qu’ils appellent cette terre lointaine, glacée, ponctuée çà et là de villes et de villages déglingués, invivables, mais où vivent pourtant des gens chargés d’extraire les milliards de tonnes de pétrole, de gaz et de métaux piégés sous le permafrost.

L’Arctique russe, qui s’étend sur 7 000 kilomètres tout au nord de notre planète, de la Finlande à l’Alaska, a eu pour seuls habitants, pendant des millénaires, des autochtones qui élevaient du bétail. L’Union soviétique, en sédentarisant de force les nomades dans les villes, ou en les faisant travailler dans des coopératives agricoles, a détruit leur mode de vie.

Puis l’Arctique a connu une nouvelle métamorphose lorsque Staline y a parqué dans les goulags des prisonniers venus de tous les coins de l’URSS pour qu’ils exploitent les richesses minières. Après sa mort, les camps de concentration ont été démantelés, mais un grand nombre de leurs occupants ont choisi de rester sur place et ont donné naissance aux communautés d’aujourd’hui.

Au plus fort de la guerre froide, la production industrielle a atteint des sommets. Les villes de l’Arctique, qui offraient travail et prospérité, ont alors attiré beaucoup de monde et de nombreux lieux d’hébergement ont été ouverts.

Dans les années 1990, après la chute de l’Union soviétique, la Russie n’a pas souhaité maintenir ces colonies isolées dans l’Arctique. Beaucoup d’habitants sont alors partis. Ceux qui sont restés - pour l’essentiel les vieux, les malades, les alcooliques - ont sombré dans la misère au fur et à mesure que les usines, les écoles, les hôpitaux fermaient leurs portes.

jin_arctic_037.jpg
jin_arctic_034.jpg
jin_arctic_001.jpg
jin_arctic_014.jpg
jin_arctic_008.jpg

Mais, plus récemment, la découverte de milliards de tonnes de pétrole et de gaz dans la toundra a insufflé une nouvelle vie à la région. Moscou réaffirme ses droits sur le Grand Nord, en y envoyant des machines et des hommes exploiter ces précieuses ressources qui lui permettent de tenir la dragée haute aux pays européens dévoreurs d’énergie.

Depuis 2009, je me suis rendu six fois dans l’Arctique russe, à partir de ma base à Moscou. J’ai lu beaucoup de choses sur la Russie renaissante et comment elle fait du pôle Nord un champ de bataille potentiel où affronter les États-Unis, le Canada et la Norvège - ne serait-ce qu’en plantant au fond de l’océan Arctique un drapeau russe en titane.

Lors de mon premier voyage, j’ai mis quarante heures pour arriver en train à Vorkouta, qui fit jadis partie du Goulag. Là, ainsi que dans d’autres villes et villages anciennement abandonnés, j’ai rencontré une population qui semblait appartenir à trois siècles différents : les autochtones, les Soviétiques, et les ingénieurs du pétrole et du gaz d’aujourd’hui. J’ai été impressionné par leur volonté de rester vivre sur cette terre inhospitalière. Et aussi très frappé par l’ampleur de la crise, démographique autant qu’écologique, déclenchée par Poutine, lequel, à l’instar de Staline, tente à son tour de contrôler cette région.

Si le propos est ambitieux, le résultat est intime. Pour l’essentiel, en effet, mes photos parlent des peuples de l’Arctique, de leurs espoirs, de leurs amours et de leur survie. Et toute cette histoire s’inscrit dans des paysages d’une inquiétante fragilité.

Justin Jin Également représenté par Panos et Focus

Ce reportage a été réalisé en partie pour Geo Allemagne et en partie grâce au soutien du Fonds d’urgence de la Fondation Magnum.

Justin Jin

portrait_jin.jpg
Suivre sur
Voir les archives