Lorsqu’on est reporter, la guerre, c’est le Graal de la profession. Il n’est pas nécessaire d’arriver jusque-là. Il y a suffisamment de choses à faire dans ce métier pour s’économiser une plongée dans les ultimes méandres de la folie humaine. Pourtant, sur l’échelle des hiérarchies de l’image et du texte, le conflit apparaît irrésistiblement comme un but suprême. Pas facile d’y parvenir.

Il faut des circonstances, une opportunité, des appuis, la confiance. À un moment, il faut aussi la force de faire le saut dans le vide. Chris Hondros a été la personne qui m’a amené à la guerre. Le saut dans le vide, il l’avait fait bien avant moi. Il s’appelait, à notre époque, « route de l’aéroport » à Bagdad, un itinéraire obligatoire pour rejoindre la planète conflit.

En 2006, j’étais correspondant de Paris Match aux États-Unis, et un sujet sur deux sur lequel j’écrivais comportait le mot Irak. Obsédant. Pour toute une société, l’Irak symbolisait la convulsion d’une époque. C’était la puissance des États-Unis en action avec, juste derrière, tout près, sa fragilité, sa connerie et ses peurs.

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Pour l’Américain de la rue, l’Irak, c’était le monde libre contre les affreux barbus.

Aux origines, le 11 Septembre. Qu’on l’ait ignoré ou qu’on y ait cru, c’était bien le choc des civilisations qui se passait sous nos yeux là-bas. Pour ne pas mentir à mes lecteurs, il me manquait une grosse pièce du puzzle américain, et cette pièce s’appelait l’Irak. Chris Hondros m’y a conduit, et ensuite en Afghanistan. Chris allait partout où le monde se convulsait.

C’est en Irak que je l’ai vraiment découvert, là aussi que j’ai découvert qui j’étais. Ce qu’il aimait par-dessus tout, ce n’était pas l’exotisme de ces endroits, mais l’aventure humaine qui s’y déroulait. Il s’en fichait de l’Irak en soi, de ses mystères babyloniens ou des extravagances de son dictateur. L’US Army avait peu d’importance à ses yeux, même s’il avait passé tellement de temps avec les boys qu’un capitaine lui dit un jour en plaisantant qu’il pourrait obtenir une pension d’ancien combattant. Ce qui le fascinait, c’était l’occupation de l’Irak par l’armée américaine, de la même façon qu’il l’aurait été par celle de la France en 1944 ou du Vietnam en 1968.

Robert Capa et Larry Burrows avaient ouvert la voie, forgé la tradition du photographe intellectuel. Hondros, comme il aimait qu’on l’appelle, s’y inscrivait parfaitement. Le type qui sait prendre une photo mais qui sait aussi en parler, à une tribune ou devant un verre dans un pub à New York.

Il voulait voir le monde en contrastes, lorsque deux peuples s’ajustent l’un à l’autre, contraints de vivre dans les mêmes rues, de respirer le même air, pour un sacré bout de temps, avec au départ presque rien en commun. À travers ses photos, il voulait expliquer les contrastes, saisir ces moments qui font l’Histoire, mais aussi capturer l’éclair d’humanité qui, au détour de l’abîme, réunit les hommes.

Régis Le Sommier Directeur adjoint de la rédaction de Paris Match

Chris Hondros

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