On n’en finit pas de compter les morts au Nigeria, chaque jour. On n’en finit pas d’annoncer un attentat contre une église ou un poste de police, dans des quartiers de Maiduguri, Kano, Damaturu, Gombe. « Les bombes sont notre pain quotidien. » Tandis que Maiduguri s’enfonce inéluctablement dans une guérilla ouverte, un certain monsieur Mari possède l’une des dernières affaires juteuses de la région : son hôtel accueille des officiers de l’armée nigériane.

Expliquer le chaos qui règne dans la moitié nord de la Fédération n’est pas simple. Car rien n’est simple au Nigeria. La résurgence des tensions religieuses correspond à la fin du régime militaire, en 1999. Libéré de la chape de plomb dictatoriale, le Nigeria s’est de nouveau scindé en deux, malgré une société extraordinairement hétérogène (plus de 200 ethnies) unifiée sous le joug colonial britannique en 1914 par Lord Lugard. Un siècle plus tard, l’« amalgamation » n’a jamais semblé plus obsolète et ensablée.

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Ce reportage a débuté avec les élections présidentielles. Celles-ci déclenchèrent des tensions politiques, immédiatement renforcées par des conflits inter-religieux. La défaite électorale de Muhammadu Buhari, le candidat musulman de l’opposition, au profit de Goodluck Jonathan scellait la perte d’influence politique et la marginalisation du Nord pour les trois années à venir. La coupe était pleine. Et la frustration d’une population usée, abusée par des politiciens ultra-corrompus, trouvait son exutoire. Huit cents morts en quelques jours. Tandis que le Sud, majoritairement chrétien, abrite les réserves pétrolières et voit fleurir l’une des économies les plus dynamiques du continent africain, les trois quarts de la population dans le Nord vivent avec 150 euros par an ; la région affiche un taux d’illettrisme ahurissant sur fond de déclin économique.

C’est dans ce creuset que recrute l’insurrection qui enflamme depuis presque deux ans la moitié nord du pays. Les attaques perpétrées par la secte salafiste Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati Wal-Jihad, plus connue sous le nom haoussa de Boko Haram (un millier de victimes depuis 2009), ont plongé les Nigérians dans la terreur. Originaire de l’État de Borno, ce groupe djihadiste qui prône un islam radical – application stricte de la charia, abolition du système laïque, rejet absolu de l’Occident – mène une campagne incessante contre les chrétiens, l’armée et la police. En janvier, l’état d’urgence a été déclaré dans plusieurs zones de gouvernement local, donnant les pleins pouvoirs à l’armée, connue pour sa brutalité et son indiscipline. Des témoins parlent d’exécutions sommaires. La population se trouve donc prise en étau, et malgré la somme faramineuse et la plus importante jamais consacrée aux services de sécurité (20 % du budget fédéral) la secte échappe à tout contrôle.

Par essence, le cœur du Nigeria, zone de contact entre chrétiens et musulmans, est une zone trouble. La Middle Belt – et Jos plus particulièrement – est l’épicentre de violences ethnico-religieuses anciennes, sourdes et sporadiques. Ici, les politiciens locaux, à l’instar du gouverneur actuel de l’État du Plateau Jonah Jang, ont réussi à instaurer la méfiance, si ce n’est la haine de l’autre. Ici, on dit se trouver sur l’une des lignes de front d’une guerre de religion engendrée par le 11-Septembre. Ici, le global se greffe sur le local et chaque crise accentue le repli communautaire, que l’on soit Bérom, Haoussa, Fulani, Ngas, indigène ou non. La « terre de paix et de tourisme » est un lointain mirage, un souvenir fané.

Mais comment des peuples que tout oppose peuvent-ils cohabiter au sein d’une entité nationale imposée, alors que l’extrême corruption et l’injustice des puissants érodent jour après jour le contrat social et attisent la colère et la frustration ? Ce reportage, sur plus d’une année, tente d’explorer sinon les raisons, tout au moins les symptômes des violences sectaires, sous la lumière laiteuse et crue du Nord. Pourtant, les rivières souterraines qui les alimentent semblent impossibles à connaître, tant elles sont organiques, secrètes, et aussi multiples que l’identité nigériane.

Bénédicte Kurzen 18 juin 2012, Jos, État du Plateau, Nigeria.

Mes sincères remerciements au Pulitzer Center pour son soutien financier crucial et à Joe Bavier pour son aide.

Bénédicte Kurzen

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