Plus d’un million d’enfants dans le Monde vivent en détention sans pouvoir bénéficier de l’aide d’un avocat, le plus souvent dans des pays où n’existent ni tribunaux pour enfants, ni juges spécialisés, au mépris des traités internationaux. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, signée en 1989, stipule que nul enfant ne sera privé de liberté “de façon illégale ou arbitraire”, que “la détention ne doit être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible”. Elle prévoit que l’enfant privé de liberté “devra être traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge”. La façon dont un Etat traite ses prisonniers est un assez bon indicateur de la qualité de sa démocratie et une société se juge aussi sur la manière dont elle traite ses enfants. Pourtant, dans nombre de pays, des camps de rééducation, des prisons, des centres fermés, des maisons d’arrêt, des colonies pénitentiaires, des bagnes pour enfants maintiennent trop souvent les jeunes détenus dans des conditions arbitraires, humiliantes, répressives et inhumaines.

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Encore trop souvent, ils ne sont pas séparés des détenus adultes. Ils sont confrontés à la violence, aux mauvais traitements, aux châtiments corporels, aux abus sexuels, à la prostitution forcée, au racket et au caïdat. L'accès à l'éducation leur est refusé. Les visites des familles sont rares ou inexistantes. La surpopulation carcérale, la promiscuité, la malnutrition, le manque d'hygiène, l'absence de soins médicaux sont la règle. Dans ce monde de l'enfermement, des mineurs sont placés - voire oubliés - de très longues années, dans une simple logique d’exclusion et de punition. Et que dire de ces gamins mis en préventive et qui attendront leur jugement pendant une durée plus longue que la peine encourue ? Que dire de ces peines, si lourdes, attribuées aussi bien pour des crimes sérieux que pour le vol d'un pain, d'un coq ou de riz sur pied, commis parce que ces jeunes avaient faim ? La grande majorité de ces mineurs envoyés en prison viennent de milieux pauvres, défavorisés et sont issus de minorités. Ces enfants ne sont pas en conflit avec la loi par choix mais à cause de la misère dont ils sont victimes et du manque d'opportunités qui sont encore plus limitées une fois qu'ils sont entrés dans le système carcéral. La prison aggrave alors leur situation et il serait plus judicieux de leur proposer des mesures alternatives à l’emprisonnement qui les aideraient à s'intégrer dans la société. L’incarcération ne doit puiser son fondement et sa justification que si elle tend vers la réinsertion. Or, ce genre d’initiatives est très rare. Le mineur n’a souvent comme choix que la prison, la détention… Peut-on envisager d’éduquer en ne proposant que l’enfermement ? Comme dans ces boot camps américains, à encadrement militaire, qui croient faire œuvre d’éducation par une discipline extrêmement sévère alors qu’il ne s’agit que de redressement ? En France même, l’idée est souvent évoquée de supprimer l’ordonnance de 1945 qui repose sur la priorité donnée à la mesure éducative sur la mesure pénale, celle-ci devant rester exceptionnelle. Or l'absence de dignité conduit à la haine et à la révolte, tout comme l'absence de réinsertion conduit à la récidive. J'ai voulu témoigner avec mon regard de photographe de l'état de la justice juvénile dans dix pays aux caractéristiques géopolitiques très différentes : pays en paix et pays en guerre, Etats de droit et régimes autoritaires. Mais, d’un continent à l’autre, on ne peut qu’être frappé par la ressemblance de certaines scènes : mêmes cachots ou cellules d’isolement, même détresse, même volonté des matons de briser la résistance des jeunes détenus. Les hypothèses que j'avais au départ n'ont pas toujours résisté à la réalité. La Colombie, pourtant confrontée à une interminable guerre civile et à la violence des gangs et des narco-trafiquants, propose des mesures alternatives à la prison. Israël m'a permis d'accéder à des lieux de détention très fermés. Et les Etats-Unis sont loin d'offrir une justice juvénile à la hauteur de leur statut de première démocratie du monde. En revanche, à Madagascar, la misère est la cause de conditions de détention particulièrement épouvantables. Enfin les démocraties ne s'en tirent finalement pas mieux que les autres, si l'on tient compte de leurs moyens éducatifs et financiers. J'ai rencontré - et c'est peu dire - les plus grandes difficultés pour obtenir les autorisations nécessaires tout au long des huit années qu'a duré ce travail. Il m'a fallu par exemple un an et demi de démarches pour disposer seulement de une heure et demie dans chacune des trois prisons visitées en Russie. Aux Etats-Unis les mêmes démarches m'ont pris trois ans… J'ai sollicité au total une quarantaine de pays. Les dix pays auxquels j'ai finalement pu accéder m'ont ouvert les portes d'une soixantaine de lieux de détention. Ce sont aussi des milliers de jeunes rencontrés derrière les barreaux. Des échanges avec certains resteront dans ma mémoire. J'ai été émue, touchée par Sergueï, Sacha, Dimitri, Pablo, Armando, Pascal, Alain, Matpala, Rivitchet, Khaled, Ali, Ron, David, Swasan, Evariste, Philibert, Sabrynn, Mike et tant d'autres. J'ai été portée par l'idée d'amener nos regards à l'intérieur de ces lieux de détention et de porter leurs regards à l'extérieur. J'ai voulu redonner à ces jeunes la dignité qui est la leur, briser le silence dans lequel ils se trouvent et surtout rompre leur isolement. Un reportage pour les sortir de l'ombre …

Lizzie Sadin

Merci à la Bourse 3P, créée par Yann Arthus-Bertrand qui a contribué au financement des reportages en Israël, en Palestine et en Inde.

Lizzie Sadin

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