Insaisissable. À la veille du premier jour de mobilisation, les contours de ce mouvement sont encore flous. Il ne connaît ni leader ni encadrement syndical. « L’appel du 17 novembre » sur les réseaux sociaux s’est propagé comme une traînée de poudre. Devenu un emblème, le gilet jaune apparaît sur de nombreuses pages. Il fallait découvrir ces nouveaux manifestants.

Dès le premier acte du 17 novembre 2018, j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. À Paris, les manifestants sont des chefs d’entreprise, des jeunes femmes, des familles, des motards… À première vue, rien ne semble les unir et les slogans qu’ils crient sont différents de ceux entendus dans les manifestations que j’avais déjà couvertes. Révoltés, plusieurs d’entre eux s’en prennent à des automobilistes impatients. La tension est palpable. Sur le terrain, j’apprends la mort d’une gilet jaune, renversée par une conductrice qui a tenté de forcer un barrage. C’est alors le premier point de bascule du mouvement. Il y en aura d’autres.

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Dans les blocages, les revendications se fédèrent. Ce qui pouvait apparaître comme un simple ras-le-bol devient très vite une grogne générale. Chaque semaine, les gilets jaunes avancent de nouvelles requêtes pour une vie meilleure, et les différents gestes du gouvernement n’apaisent pas leur colère. Tenaces, des hommes et des femmes parcourent la France, souvent en covoiturage, pour se rendre à Paris. Les smartphones leur permettent de s’informer sur les points de ralliement et de trouver des compagnons de route.

Les samedis se succèdent et les marches pacifiques laissent place à des violences incontrôlables. Dans les nuages de gaz lacrymogène, il est difficile de savoir qui sont les casseurs. Certains manifestants se sont radicalisés après avoir reçu des coups alors qu’ils venaient de se faire saisir leurs protections par les forces de l’ordre. D’autres ne sont plus revenus, par peur d’être blessés.

L’acte 4 du 8 décembre fut sans doute l’un des plus éprouvants. Policiers et manifestants ont commencé très tôt à s’affronter. Des groupes extrémistes, des black blocs et des casseurs se sont invités dans le cortège des Champs-Élysées. Ils cherchaient à détruire, frapper et brûler tout ce qu’ils pouvaient. Les journalistes n’étaient pas les bienvenus. Il a fallu rester silencieux face à leurs insultes, tout en se protégeant des coups de matraque intempestifs. Certains confrères ont même essuyé des tirs de LBD. Des gilets jaunes pacifistes intervenaient parfois pour empêcher un magasin d’être saccagé, malgré quelques coups assénés par les casseurs. À ce moment précis, j’étais seul. Témoin de scènes étonnantes où les citoyens se déchiraient.

Puis la haine et le mépris ont monté d’un cran entre manifestants et policiers. Un peu mieux équipé chaque week-end, j’ai tenté de me fondre dans ce décor pour ne pas passer à côté d’une photo. Habitué des sujets banlieue et des faits divers, j’ai vécu chaque mobilisation comme un nouveau reportage. Les photos choisies ici ne sont qu’un morceau de l’histoire.

Éric Hadj

Eric Hadj

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