Le 16 octobre 1978, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, un pape polonais fut élu. « L’Étranger » conquit immédiatement les fidèles rassemblés place Saint-Pierre, lorsqu’il demanda, dans un italien approximatif, qu’on le corrige s’il se trompait en s’exprimant … À partir de cet instant, Karol Wojtyla, désormais Jean-Paul II, devient une proie de choix pour nous, les photographes C’est lui, là, sur un sentier rocheux de montagne, à la tête d’un groupe de promeneurs. Lui, qui lit près d’une cascade. Lui encore, qui fait la sieste sous un sapin. Il s’est laissé « surprendre » en civil : pantalon gris, chemise et T-shirt blancs, grosses chaussures de marche, béret. Il sourit : eh oui, l’habit ne fait pas le pape. Le temps de faire quelques photos et il a disparu dans un passage. Voilà ! Je venais de saisir le Pape « en liberté », loin de tout protocole.

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Un jour, à 15h30 précise, il est apparu entre les créneaux de la muraille séculaire, son bréviaire dans les mains, vêtu d’une lourde cape noire. Il cheminait lentement. Le Pape, absorbé par la lecture de ses prières, est passé plusieurs fois dans mon champ de vision. Je prenais des photos comme un forcené. Tandis que j’appuyais frénétiquement sur le déclencheur, il m’est venu une idée vite obsédante. Et si je profitais de cette relative proximité pour lui révélé ma présence ? Je l’ai appelé : « Très Saint-Père, s’il vous plaît, faites-moi un signe. » Le Pape a levé les yeux, nous a vus, mon téléobjectif et moi, a souri – un large sourire –, m’a béni puis m’a salué d’un geste du bras droit. Instantanément, je me suis senti libéré. Photographier le Pape à son insu m’avait toujours gêné. Sa bénédiction, le signe qu’il m’avait adressé, et surtout ce sourire que je ne pourrai jamais oublier, m’ont rassuré. Comme s’il m’avait donné la permission de le suivre avec mon appareil photo. Et je ne m’en suis pas privé. J’ai rassemblé pour cette exposition une partie des images que j’ai prises de lui. Dans les années 90, son pas s’est fait hésitant, son corps s’est alourdi, meurtri par les suites de l’attentat, le 13 mai 1981. C’est à peine s’il a ralenti ses activités, intensifiant encore ses voyages alors qu’on spéculait sur sa fatigue, sur ses maladies, alors que se répandaient des rumeurs d’abdication. Depuis le début de son pontificat, la transformation profonde qu’a subie le Saint-Père, torturé par la douleur, est impressionnante. Il a pourtant pardonné à Ali Agça. Une leçon de miséricorde qui a porté à travers toute la planète. Moi aussi, témoin de son calvaire de l’autre côté de l’objectif, il m’a convaincu. Au fil des longues années que j’ai passées dans son sillage, Karol Wojtyla, Pape Jean-Paul II, m’a appris à pardonner. Je regarde ses dernières images : miné par la souffrance, claudiquant, les mains tremblantes, il trouve de la force dans ses tourments mêmes. Derrière son visage douloureux, marqué, je continue à voir l’homme intrépide, vigoureux, qui m’est apparu quand j’étais « en planque » dans mon perchoir-paradis.

Adriano Bartoloni

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