En octobre 2011, Damir Sagolj, basé à Bangkok, a pu se rendre en Corée du Nord, en compagnie d’AlertNet (une agence de presse à vocation humanitaire de la Fondation Thomson Reuters) et de Médecins sans frontières, à la demande du Centre d’information sur l’économie et le commerce du régime nord-coréen. Après six mois d’attente, le groupe a été autorisé à visiter pendant une semaine, dans des conditions très strictement contrôlées, le sud de la région de Hwanghae, principale productrice de riz du pays, afin d’établir un rapport sur l’aggravation de la crise alimentaire. Les visiteurs ont eu accès à des exploitations agricoles collectives, des orphelinats, des hôpitaux, des dispensaires en milieu rural, des écoles et des crèches, restés jusque-là quasiment inaccessibles aux médias.

Dans un hôpital pédiatrique de la province agricole la plus productive de Corée du Nord, les enfants sont couchés à deux par lit. Ils présentent tous des signes de malnutrition sévère : infections cutanées, pelade, apathie. « Leurs mères doivent les amener à vélo », nous a expliqué le médecin de service, le Dr Jan Kum Son, rencontré à Haeju, une ville portuaire au bord de la mer Jaune. « Nous avions une ambulance, mais elle est définitivement hors service. Une mère a dû faire soixante-douze kilomètres pour amener son enfant. Le temps d’arriver, il est souvent trop tard ».

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Selon le PAM (Programme alimentaire mondial) dans ses estimations de mars 2011, six millions de Nord-Coréens sont touchés par la famine, et un tiers des enfants nord-coréens souffrent de malnutrition chronique et/ou de retards de croissance. À titre de comparaison, selon les Nations unies, la crise alimentaire qui sévit en Somalie touche quatre millions de personnes.

La Corée du Nord reçoit une aide alimentaire depuis le milieu des années 1990. Des voix se sont élevées pour dénoncer la manière dont Pyongyang consacre la totalité de ses faibles ressources en devises à l’entretien d’une armée forte d’un million d’hommes, et à la mise au point d’armes et de missiles nucléaires, sans rien faire pour nourrir les millions de Nord-Coréens souffrant de malnutrition.

Un hiver particulièrement féroce, au point de geler les semences dans le sol, avait déjà compromis les premières récoltes, avant même les inondations de l’été. En temps normal, la province de Hwanghae assure un tiers de l’approvisionnement en céréales du pays, et fournit blé, maïs et riz au Système public de distribution qui approvisionne les deux tiers de la population.

Les appels du régime à une aide alimentaire massive (raison pour laquelle, apparemment, le groupe a pu visiter la région) ont été accueillis avec scepticisme par la communauté internationale. L’objectif d’aide alimentaire que l’ONU a fixé pour la Corée du Nord n’a été réalisé qu’à 30 %. Les États-Unis et la Corée du Sud, les deux principaux donateurs avant les sanctions, ont fait savoir qu’ils ne reprendraient l’aide alimentaire qu’une fois assurés que les militaires à la tête du régime communiste cessent de la détourner à leurs propres fins, et une fois que les pourparlers sur le désarmement auront avancé.

La situation que le régime a présentée dans le sud de la province de Hwanghae est dans une large mesure celle d’une famine chronique, de soins de santé désastreux, d’accès limité à l’eau potable, et d’un système de rationnement alimentaire à la dérive, tout cela dans le cadre d’une économie contrôlée qui est en crise depuis plus de vingt ans, lorsque l’effondrement de l’Union soviétique a laissé la Corée du Nord isolée.

Dans un orphelinat de Haeju, vingt-huit enfants d’un petit dispensaire, blottis par terre les uns contre les autres, chantaient en chœur « Nous n’avons rien à envier », hymne à l’idéologie du juche (auto-suffisance) prônée par le régime nord-coréen et qui a fait du pays l’une des sociétés les plus fermées du monde.

Des mesures ont été prises sur chaque enfant à l’aide de bracelets gradués permettant de mesurer le degré de malnutrition, et elles ont démontré que douze d’entre eux étaient dans la zone entre le orange et le rouge, ce qui signifie que certains pourraient mourir si aucun traitement adéquat n’est entrepris. Les experts nutritionnistes de MSF ont trouvé des résultats analogues dans d’autres institutions, tout en précisant expressément que ces résultats n’étaient pas statistiquement signifiants.

Dans un orphelinat de la ville de Hwanghiu, dans le nord de la province de Hwanghae, onze enfants sur douze soignés au dispensaire présentaient des signes de malnutrition critique et ne paraissaient âgés que de 3 ou 4 ans, alors que le personnel nous certifiait qu’il s’agissait d’enfants de 8 ans dont la croissance avait été sévèrement retardée par la malnutrition. « Je n’ai jamais vu des retards de croissance pareils, jamais, même en Éthiopie », a dit Delphine Chedorge, responsable adjointe au bureau des urgences de MSF France.

Tim Large, rédacteur en chef, Fondation Thomson Reuters.

Damir Sagolj

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