Lauréate du Prix Canon de la Femme Photojournaliste 2016

« Si ça ne tenait qu’à moi, je raserais chaque bâtiment de ce village. J’ai dû y aller souvent pour obliger ma mère à rentrer. Elle ne voulait jamais quitter Whiteclay. On devait la faire monter de force dans la voiture. » (Olowan Martinez)

Whiteclay est un hameau d’une dizaine d’habitants, avec quatre débits de boisson le long de la rue principale, Highway 87, qui vendent 4,9 millions de cannettes de bière par an, plus de 13 000 par jour. La plupart des clients sont des membres de la tribu Oglala Lakota de la réserve de Pine Ridge, dont la limite se trouve à 60 mètres de là, et où l’alcool est interdit depuis sa création en 1889. Les membres de la tribu viennent à Whiteclay en voiture, en stop, à pied, ou alors ils achètent de l’alcool de contrebande. Pine Ridge est l’un des endroits les plus pauvres des États-Unis. Pour les 40 000 habitants de la réserve, les statistiques sont terribles : 85 % sont au chômage, 70 % vivent sous le seuil de pauvreté, et l’espérance de vie est la deuxième la plus faible du monde occidental : 47 ans pour les hommes, 52 pour les femmes. Les chefs de la tribu considèrent que l’alcool est à l’origine de tous ces maux.

Au cimetière de Wounded Knee, Olowan Martinez se recueille sur la tombe de son père, décédé à l’âge de 22 ans dans un accident de voiture lié à l’alcool alors qu’elle était bébé. Olowan avait 12 ans lorsqu’elle a bu pour la première fois. « J’ai avalé des shots de rhum. Je n’avais pas vraiment le choix. » À 15 ans, elle buvait déjà régulièrement. Elle s’est mariée à 18 ans ; ils s’étaient rencontrés en picolant. « Il m’a battue une première fois, puis il est devenu de plus en plus violent, jusqu’à essayer de me tuer. Il est allé en prison. » Sa mère est morte d’une cirrhose du foie. Olowan Martinez a aujourd’hui 43 ans et elle est sobre depuis 18 ans.

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Elle fait partie d’un réseau de militantes de Pine Ridge qui ont campé avec d’autres militants pendant plus d’un an à la frontière de la réserve, empêchant les camions de livrer l’alcool et manifestant contre les bars de Whiteclay. Mais Olowan reconnaît que l’alcool n’est pas le seul ennemi. « Il y a aussi la méthamphétamine et le suicide qui détruisent les jeunes Oglalas. J’ai une fille de 15 ans, je ne l’ai pas mise au monde pour qu’elle tombe dans la drogue. »

L’hiver dernier, deux jeunes enfants ont été retrouvés dans un laboratoire de meth, livrés à eux-mêmes et amaigris. Le lieutenant Jason Lone Hill raconte que c’est à la suite de cette découverte qu’un groupe d’intervention a été créé pour lutter contre cette drogue dans la réserve. La police tribale, les services de protection de l’enfance et l’office du logement effectuent des contrôles dans les foyers à problèmes pour s’assurer du bien-être des enfants et des aînés, et rechercher des signes indiquant l’usage de meth : insalubrité, trous dans les murs, ampoules électriques utilisées pour fabriquer une pipe à meth, substances chimiques et bouteilles de soda pour préparer des doses. Un week-end d’avril, ils ont arrêté trente et un adultes, retiré treize enfants à leurs parents et fermé cinq maisons jusqu’à ce qu’elles soient nettoyées de toute trace de drogue. « Malheureusement nous ne réglons qu’une toute petite partie du problème », déplore le lieutenant Lone Hill.

Nancy a 23 ans et a été arrêtée pour possession de meth ; c’est son premier séjour au centre de détention de la tribu Oglala. Elle prend de la meth depuis qu’elle a 15 ans et dit qu’elle continuera quand elle sera libérée. « Le cliché, ce serait de dire que c’est pour atténuer la douleur, mais en réalité ça te permet aussi de te sentir bien. J’aimerais vivre longtemps, mais quand tu habites ici, c’est comme si ta vie était diminuée de moitié. »

Après le pow-wow, alors que les enfants dansent pour commémorer l’occupation de Wounded Knee, Olowan Martinez se remémore l’enterrement d’une fille de 12 ans qui s’était suicidée. « Ça m’a brisé le cœur de voir la famille décorer d’une plume d’aigle ce dealer de meth. Ce n’est pas un guerrier. » Elle reste silencieuse un instant, puis ses mots percent les hurlements du vent : « Si tu sais que tes proches vendent de la meth, empêche-les, sinon nous nous en chargerons. Si tu ne prends pas soin de ta lignée, nous le ferons pour toi. Et si ça nous vaut de nous faire des ennemis, eh bien soit. Nos ancêtres seront fiers de ce que nous avons fait. »

Darcy Padilla

Darcy Padilla

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© Els Zweerink
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