La première photo importante que Zohra Bensemra a prise montrait les ravages causés par un attentat à la voiture piégée dans la capitale algérienne. Elle avait 24 ans. « C’était la première fois que je voyais des corps gisant sur le sol. J’ai passé la journée à pleurer, j’étais encore en larmes quand je me suis couchée. Au réveil, j’étais une nouvelle personne… Je me suis rendu compte que c’était ça la photographie pour moi : montrer la souffrance engendrée par la guerre. »

Le militantisme islamiste a ensuite gagné du terrain et son pays a plongé dans une guerre civile sanglante qui allait durer dix ans et causer la mort de plus de 200 000 personnes. Zohra Bensemra vivait dans la clandestinité, passant ses journées à photographier les atrocités et ses nuits terrée à écouter le chanteur algérien Cheb Khaled. Lorsqu’elle a intégré le journal El Watan en tant que première femme photographe algérienne, elle a appris à déclencher son appareil rapidement et discrètement, le pressant contre son ventre au lieu de le porter à son œil.

Après avoir rejoint Reuters en Algérie en 1997, elle est vite devenue une professionnelle aguerrie, se rendant au Moyen-Orient, en Serbie et en Macédoine. Elle a couvert les conflits en Libye, Syrie, Irak, Afghanistan, Soudan, Égypte et Somalie. Elle a couvert aussi le Printemps arabe et la violence confessionnelle, puis a passé trois ans en tant que photographe en chef au Pakistan.

bensemra_retro_012.jpg
bensemra_retro_053.jpg
bensemra_retro_024.jpg

De langues maternelles française et algérienne, elle a appris en chemin l’anglais et l’arabe pour pouvoir parler avec ceux qu’elle photographie. Elle s’intéresse à la vie des gens ordinaires : des enfants réfugiés qui jouent dans un bidonville, des femmes d’affaires à Islamabad, d’autres arborant leurs tatouages traditionnels en Algérie, des familles de migrants qui fuient vers l’Europe. Mais sa mission première, dit-elle, est de montrer le coût humain de la guerre. « Lorsqu’on voit des enfants, la génération de demain, passer sans réagir devant les cadavres de djihadistes, on sait que la violence n’est pas près de cesser. »

Au début de l’année, Zohra Bensemra était à Mossoul pour prendre des photos aux côtés des forces irakiennes qui combattaient les militants de Daech. Elle s’intéressait moins aux soldats qu’aux familles fuyant la violence. « J’ai vu cette femme de 90 ans, Khatla Ali Abdallah, qui avait l’air à bout de forces. On pouvait lire dans ses yeux la fatigue et l’effroi. Elle semblait ne pas avoir mangé ni bu depuis longtemps. Elle m’a émue aux larmes. » Quelques jours plus tard, tourmentée de se sentir impuissante, Zohra Bensemra s’est mise à la recherche de cette femme dans un camp de réfugiés, montrant sa photo jusqu’à ce qu’on la conduise à elle. Elles ont bu le thé en évoquant le sort des poulets que cette femme avait élevés pendant la guerre, dans sa cave, au plus fort des bombardements.

Zohra Bensemra dit que son travail consiste non pas à expliquer mais à témoigner. « C’est difficile de braquer son objectif sur une réalité cauchemardesque. J’ai l’impression que ça ne s’arrêtera jamais. Lorsqu’on se précipite sur les lieux d’un attentat ou d’un massacre, certains pensent qu’on en tire du plaisir. Mais nous ne faisons que notre travail, témoigner, pour montrer l’horreur et d’une certaine manière partager la souffrance des victimes. » * Katharine Houreld, chef du Bureau Reuters pour l’Afrique de l’Est*

Zohra Bensemra

portrait_bensemra.jpg
Suivre sur
Voir les archives