C’est l’histoire d’un scoop comme il n’en existe plus aujourd’hui.

En novembre 1963, Marc Riboud et Jean Daniel, grand reporter à L’Express, arrivent à La Havane. Dans l’attente d’un rendez-vous avec Fidel Castro, ils parcourent l’île en tous sens, rencontrant des paysans et des ouvriers, des militants et des contre-révolutionnaires, des ministres et des artistes. Ils visitent une école de danse, un centre de réinsertion pour anciennes prostituées… jusqu’à ce qu’un soir, à 22 heures, Castro arrive enfin à leur hôtel et reste jusqu’au petit matin, questionnant Jean Daniel avant de raconter avec passion sa version de la crise des missiles qui, un an auparavant, avait failli entraîner le monde dans la guerre.

Pour imaginer l’intensité de cette conversation nocturne, il faut savoir que Jean Daniel avait été reçu quelques jours plus tôt à la Maison Blanche et que John F. Kennedy l’avait chargé de messages pour Castro. Pendant des heures, Castro se fait donc préciser, répéter les paroles, les expressions, les intonations de Kennedy.

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Enfin, à 4 heures du matin, en pleine forme, il emmène Jean Daniel, sa femme Michèle et Marc dans sa vieille voiture américaine, s’assied à côté de son chauffeur, une kalachnikov à ses pieds, et leur fait faire le tour de l’île en les interrogeant sur le général de Gaulle. Le soir suivant, nouvelle visite de Castro, nouvelle conversation-fleuve pleine de passion. Le lendemain, alors que Marc Riboud est reparti pour Paris au petit matin appelé par sa sœur gravement accidentée, Jean Daniel est en train de déjeuner avec Castro quand le téléphone sonne pour annoncer l’attentat de Dallas ! Jean Daniel recueille alors les premières réactions de Castro, et son article « Avec Castro à l’heure du crime » publié avec les photos de Marc Riboud fera la une des magazines du monde entier.

Les photographies de ce séjour si particulier racontent donc Cuba en 1963, dans la jeunesse de sa révolution, quatre ans après la chute de la dictature de Fulgencio Batista. Sur les murs de la ville, des slogans qui chantent la paix, des annonces pour le récital d’un pianiste chinois, des portraits de Mao ou de Lénine à côté de ceux du Líder Maximo. Mais surtout, ces images révèlent la beauté des femmes aux formes généreuses, la liberté des gestes, les lumières du port, les phares des belles Cadillac qui percent la nuit de l’île, et elles nous transportent dans une époque aujourd’hui adoucie par notre nostalgie.

Catherine Chaine

Marc Riboud

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