Stalingrad, Beyrouth, Sarajevo… Damas. Le conflit en Syrie est devenu une guerre des snipers. Dans la capitale et à Alep, des hommes traquent d’autres hommes à travers la lunette de leur arme. Dans les rues des villes ou bien dissimulés derrière les rideaux des fenêtres, ils chassent l’aperçu d’un corps, le globe d’un œil regardant fixement par un interstice. Tuer ou être tué.

Parmi les ruines, dans cet exercice du chat et de la souris, s’invitent les chars et les bombardiers, une menace plus lourde encore. De temps à autre, les chasseurs se retrouvent brusquement face à face dans le labyrinthe. Les grenades pleuvent, les armes automatiques se déchaînent dans la panique du huis clos d’un salon d’appartement.

Goran Tomasevic, photographe de guerre chevronné de Reuters, a vécu en première ligne l’été dernier la bataille d’Alep et s’est retrouvé cet hiver au cœur des combats à Damas. Son travail apporte chaque jour la preuve de l’escalade d’un conflit qui a chassé de chez eux des millions de gens et tué 100 000 personnes, selon les estimations.

Dans une proximité exceptionnelle, Tomasevic a photographié les combattants dans leurs offensives complexes, ou quand ils soignaient leurs blessés, enterraient leurs morts, et mouraient devant ses yeux.

« Je voulais être aussi près que possible des combattants, à l’extrême limite de la ligne de front, pour montrer avec précision ce qu’ils faisaient, leurs émotions, pour les voir courir, tirer, pour voir comment ils réagissaient face aux obus », explique-t-il. « Si l’on veut rendre les faits dans leur authenticité, il faut être là où ils se déroulent. »

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À 44 ans, Tomasevic a été témoin de nombreux conflits : dans sa Yougoslavie natale, en Irak, entre Israël et les Palestiniens, en Libye et ailleurs. « Cela fait vingt ans maintenant que je couvre des guerres, et je perçois peu de changements, notamment dans les conflits urbains comme à Alep et Damas. Cela me rappelle ceux des Balkans, de l’ex-Yougoslavie et aussi des combats de la Seconde Guerre mondiale. J’aurais adoré couvrir la bataille de Stalingrad. »

Ses photos ne traduisent pas seulement la bravoure, mais aussi la discipline et les capacités tactiques de l’Armée syrienne libre, ainsi que l’assurance, le sens de l’ordre et la supériorité en armement des troupes régulières du président Bachar el-Assad. Cette puissance de feu a bloqué l’avancée des rebelles à Alep, la plus grande ville du pays, et à Damas elle maintient les insurgés en dehors du centre, même si Assad a perdu des quartiers entiers de la banlieue.

Les photos de Tomasevic disent les batailles, petites et grandes. Un obus tiré par un blindé fait éclater une maison au-dessus de sa tête, des balles et des éclats d’obus remplissent une pièce. La colère ou la peur s’insinuent dans son objectif, qui capte aussi la surprise, la douleur d’hommes blessés, la tristesse et la prière de ceux qui meurent.

« Quand je commence à couvrir un combat, pour moi mentalement tout retrait est exclu. J’aurais honte de moi si je ne le suivais pas jusqu’à la fin. Si vous couvrez une guerre comme celle de la Syrie, vous devez en rendre les moments les plus difficiles. Je ne peux pas, dans mes photos, renoncer et trahir ceux qui vivent une expérience beaucoup plus difficile que la mienne. »

Aujourd’hui, inspirés par les manifestations du Printemps arabe de 2011, des groupes de déserteurs de l’armée, des islamistes radicaux et des hommes enlevés à la vie civile sont engagés dans une guerre toujours plus âpre et plus polarisée contre Assad et une élite dominée par la minorité alaouite du président. Les puissances mondiales sont paralysées par leurs rivalités, les pays voisins sont entraînés dans le conflit, la paix n’a jamais semblé aussi éloignée, et la guerre, dans son morne quotidien, se poursuit.

Alastair Macdonald, Ancien chef du bureau de Reuters (Jérusalem et Bagdad)

Goran Tomasevic

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