Printemps 2004. Mark Grosset, directeur de l’école Icart-Photo, attire notre attention sur le travail de l’un de ses élèves. Son travail de fin d’année, il le réalisera en Haïti. Époustouflant !

C’est un « premier » reportage, mais d’une telle maturité ! Ce travail remarquable sera projeté au Campo Santo en soirée de clôture. La preuve que le photojournalisme est bien vivant… Congo, Haïti, encore, et puis Tunisie, Égypte, Libye… Rémi Ochlik a suivi le printemps arabe.

Le 22 février, sa carrière s’arrête brusquement. Il est tué par les obus de Bachar el-Assad, à Homs, en Syrie, avec Marie Colvin du Sunday Times.

Le 22 février, le photojournalisme a perdu l’un de ses acteurs les plus prometteurs auquel nous rendons un hommage largement mérité à travers cette exposition.

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« Pire qu’une drogue » ou les souvenirs de guerre d’un jeune reporter

« Le 4x4 se rapproche inexorablement d’un barrage. On prie pour que les Chimères qui s’y trouvent sachent lire afin qu’ils puissent voir “international press” sur le véhicule. (…) La bouche déjà pâteuse, on allume une cigarette qui n’a plus de goût, qui brûle la gorge. Les portières s’ouvrent, on est tiré de la voiture, une arme automatique sur la tempe. On pense à sa famille, au jour de son enterrement et à un tas de choses hors contexte. Le pire, ce sont leurs yeux : rouges, vitreux, sans vie. Complètement shootés au crack, ils sont capables de tout, surtout du pire. Ils hurlent des ordres en créole qu’on ne comprend pas. On est fouillé sans ménagement, toujours le canon de l’arme sur la tempe. Ils cherchent des armes. L’un d’entre eux nous fait signe de remonter dans la voiture, les autres ne sont pas d’accord. Ils crient, se battent entre eux à coups de bâton. On n’en mène pas large. On a vingt ans et pas vraiment envie de mourir. On donnerait tout pour être loin, très loin, ne jamais être venu. Témoigner ? La belle affaire ! Pour qui ? Pour quoi ? Tout le monde s’en fout de cette île pourrie. Ils peuvent bien s’entretuer, le monde n’en a cure. Et nous, on est dans la merde. Il suffirait d’un rien pour qu’un coup parte, que l’on se retrouve à terre. Puis il y a cette détonation, les tympans semblent avoir explosé, on n’entend plus rien. Une distance se crée entre le cerveau, la pensée et l’extérieur, on est comme dans une bulle. On voit leurs bouches s’ouvrir sans qu’aucun son n’en sorte. L’imbécile qui vient de tirer semble content de lui. Ils ont fini par se mettre d’accord, on peut partir. (…)

On est livide, médusé. Mais on est passé. L’adrénaline redescend, les nerfs se relâchent. On éclate de rire, un fou rire étrange et déplacé, mais incontrôlable. Le cœur commence à retrouver un rythme plus régulier quand, au loin, on aperçoit un autre barrage… Ce soir-là, en revenant du nord du pays, sur la route Saint-Marc – Port-au-Prince, on a croisé six barrages semblables à celui-ci. Plus de trois heures pour parcourir cinq malheureux kilomètres. (…)

On pense à cette étrange dualité que crée la guerre. On vient de vivre des instants terribles, pendant lesquels on aurait vendu les êtres les plus chers pour être loin de cette merde, et pourtant, à peine sorti d’affaire, on a une seule envie, une seule idée fixe : y retourner, encore et encore, sentir cette peur à nouveau, cette montée d’adrénaline si puissante. La guerre est pire qu’une drogue. Sur l’instant c’est le bad trip, le cauchemar, mais l’instant d’après, une fois le danger passé, on meurt d’envie d’y retourner prendre des photos en risquant sa vie pour pas grand-chose. Il y a une sorte de force incompréhensible qui nous pousse à toujours y revenir… »

Rémi Ochlik, 2004

Exposition produite grâce au soutien de Paris Match.

Rémi Ochlik

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