
Ukraine : survivre au milieu des ruines
Gaëlle Girbes
Lauréate 2024 du Prix Pierre & Alexandra Boulat
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, de nombreux villages et villes ont été rayés de la carte. Selon un rapport conjoint de la Banque mondiale, du gouvernement ukrainien, de la Commission européenne et des Nations unies publié en février 2025, près de 30 % du territoire ukrainien est ravagé et miné. Cela équivaut à la superficie du Cambodge ou à six fois celle de la Belgique. D’après cette même étude, la reconstruction de ces vastes zones est estimée à 524 milliards de dollars sur les dix prochaines années, aucun chiffre exact ne pouvant être avancé tant que la guerre fait rage.
Le ministère du Développement des communautés et des territoires d’Ukraine a enregistré 4,6 millions de personnes ayant perdu leur logement. Ce chiffre ne prend en compte que ceux qui ont fui et se sont enregistrés comme déplacés internes, mais pas ceux qui sont restés, ont été tués ou ont disparu, happés par la guerre d’une manière ou d’une autre.
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Aujourd’hui, les agglomérations fantômes se comptent par milliers, tant sur la ligne de front que dans les zones désoccupées du pays. Le village de Kam’yanka, dans l’oblast de Kharkiv, comptait 863 habitants ; il n’en reste désormais plus que 47. La ville de Siversk, dans le Donbass, abritait 11 612 personnes ; aujourd’hui, seules 444 y vivent encore, réfugiées dans des sous-sols, sous des bombardements incessants. Bohorodychné, magnifique petit village de l’Est ukrainien de 556 âmes, ne comptait plus que deux survivants à sa libération, et depuis, seulement 35 personnes sont revenues. Quant à la ville minière de Vouhledar, autrefois peuplée de 18 554 habitants, elle n’en compte plus que 139, pris au piège en septembre 2024 lorsque les forces du Kremlin ont réussi à capturer la ville.
Sans eau, sans électricité ni gaz, vivant sur des terres minées, des citoyens ukrainiens choisissent de rester, ou de revenir après une évacuation qui ne leur a offert qu’un lit dans un refuge ou dans un appartement familial surpeuplé. Ces habitants des ruines tentent de survivre au milieu des décombres, voire de reconstruire leur habitation avec ce qu’il en reste. L’électricité est remplacée par des panneaux solaires ou des générateurs, le gaz par des poêles, et l’eau courante par des puits, lorsqu’ils ont la chance d’en avoir un. La culture d’un potager est devenue une nécessité pour se nourrir. Ainsi, malgré la présence de mines, chacun tente de cultiver cette terre devenue dangereuse. Les services essentiels, soins de santé, bureaux de poste, banques, magasins, ont disparu. L’accès à Internet et au réseau téléphonique est rare et instable, quand il existe.
En quelques secondes, dans le fracas des bombes, la guerre leur a tout pris et les a renvoyés d’une époque moderne et confortable à une époque médiévale. Et pourtant, résilients, ils se reconstruisent dans ces no man’s land sinistres.
Alors que l’armée russe continue de dévaster le pays, se rapprochant de nouveau dangereusement des villes et villages déjà occupés une première fois en 2022, tous s’inquiètent. Où aller ? Vont-ils perdre le peu qu’ils ont pu reconstruire ? Être tués ou être obligés de fuir définitivement leur terre natale ? Abandonnant derrière eux leurs seuls biens, le fruit de toute une vie de labeur et d’une reconstruction à peine débutée au prix de bien des souffrances.
La guerre en Ukraine est le plus grand conflit qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces trois dernières années, au moins 31 867 civils ont été blessés et 13 134 tués. Cependant, ce conflit, qui a réellement commencé en 2014, a causé la mort de 16 538 civils au total, à la date d’avril 2025. Chaque jour qui passe, ce chiffre augmente.
Gaëlle Girbes