
Photographier en toute liberté
Jean-Pierre Laffont
J’ai commencé la photographie très jeune. Adolescent, je faisais de la plongée et rêvais de devenir photographe sous-marin. Ma mère m’a alors offert mon premier appareil, que je n’utiliserai pas sous l’eau, mais avec lequel j’ai pris mes premières photos pendant la guerre d’Algérie. J’avais une sensibilité visuelle, mais à l’époque il n’existait pas d’école de photo en France. J’irai donc à celle qui avait la meilleure réputation en Europe : l’École des arts et métiers à Vevey, en Suisse. C’est là que je deviendrai photographe, un métier qui sent l’aventure, animé par le désir d’être témoin de mon temps. Partir à la découverte du monde en toute liberté, couvrir l’actualité, raconter des histoires, voilà ce que je voulais faire.
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Au début de ma carrière de photojournaliste dans les années 1960, les photographes étaient peu considérés et travaillaient dans un total anonymat. Leurs photos n’étaient jamais signées et appartenaient très souvent aux clients qui les commandaient. Mais j’aurai la chance de rentrer chez Gamma, une petite agence qui s’était ouverte à Paris. Gamma, c’était un rêve de photographe, rêve de liberté et d’autonomie, une agence de photographes pour les photographes. Le principe était simple : 50/50, l’agence et le photographe partageaient tout, recettes et frais, et nous restions propriétaires de nos photos. Cette formule m’a beaucoup plu.
Je suis un solitaire, j’ai toujours aimé travailler seul et uniquement pour ce qui me semblait important. L’aspect financier ne m’intéressait pas, seul mon désir d’informer me motivait. Je m’occupais de tout : établir mes itinéraires, choisir mes histoires, construire mes reportages, prendre mes billets d’avion et les rendez-vous, avancer mes frais, développer les films, écrire mes textes, et parfois même, éditer mes photos. Je n’aimais travailler qu’en spéculation, c’est-à-dire sans commande, pour ne pas sacrifier ma liberté de travail. Ni deadlines, ni contraintes, ni demandes particulières, simplement mon envie de couvrir tel ou tel événement.
J’aimais tout faire : couvrir l’actualité et les grands événements sociaux et économiques, être photographe de rue, photographier les personnalités françaises de passage à New York, les stars américaines sur leurs tournages à Los Angeles, explorer les pays à travers le monde.
Il y a toujours une belle époque pour toute chose, et nous avons eu la nôtre. Être un photojournaliste, un aventurier, un routard, un photographe concerné, l’époque m’a permis tout cela. Je voulais avant tout être libre, libre de photographier ce que je voulais, libre de raconter des histoires à ma façon, libre de vivre ma passion de photojournaliste dans les pays de mon choix. C’étaient les années de l’âge d’or du photojournalisme argentique. J’ai eu la chance de connaître cette période où l’on pouvait travailler en toute liberté.
Jean-Pierre Laffont
New York, 21 avril 2025