
Incontrôlables mégapoles
Pascal Maitre
Pour Paris Match
Dacca, Kinshasa, El Alto. Trois villes prêtes à exploser qui préfigurent le monde de demain. Ces ogres urbains, titans jamais rassasiés qui fascinent par leur multitude de possibles, attirent dans leurs entrailles des millions d’âmes en quête d’une vie meilleure.
D’ici 2050, deux humains sur trois seront citadins selon les Nations unies. Le double d’aujourd’hui, soit 2,5 milliards de personnes supplémentaires. Cette urbanisation galopante, sur un rythme sans précédent dans l’histoire, se concentre dans les pays du Sud : en Afrique, où la population devrait augmenter de 91 % en 25 ans, jusqu’à 2,6 milliards en 2050, mais aussi en Asie et en Amérique du Sud, où elle passera de 2 milliards d’habitants à 4 milliards. Plusieurs facteurs expliquent cet essor démesuré : l’exode rural et économique, la chute de la mortalité infantile, la fuite des conflits, l’espoir d’un avenir. Pollution, menaces climatiques, constructions anarchiques, maladies, délinquance, enfants des rues… Les enjeux sont immenses et déjà à l’œuvre.

Pourtant, chacune de ces mégalopoles où s’agglutinent les êtres et les rêves se débat avec ses propres singularités, ses propres mécanismes de résistance. À Kinshasa, en République démocratique du Congo, la misère n’a pas étouffé la créativité artistique d’un peuple résigné à l’incurie de pouvoirs publics rongés par la corruption. Abandonnée à elle-même, sillonnée de routes défoncées et de corps exténués, la ville de 17 millions d’habitants – sans doute plus en l’absence de recensement depuis 1984 – pulse de vie, de désir et d’oubli. À El Alto, en Bolivie, la communauté indienne Aymara ne cesse de venir grossir les rangs d’une mégacité qui autrefois n’était qu’un quartier. Suspendue à 4 300 mètres d’altitude, menacée d’asphyxie par une croissance exponentielle, El Alto court après la modernisation tout en restant fidèle aux traditions. À Dacca, capitale du Bangladesh, 2 000 migrants fuyant les calamités climatiques et la pauvreté affluent chaque jour. Les bidonvilles étendent leurs tentacules au cœur de la ville. Dans cette mégalopole grise à la densité la plus folle au monde – 40 000 habitants au kilomètre carré –, l’espoir a le goût du labeur, les métiers l’âge du début du XXe siècle.
Infernales et fascinantes, ces mégapoles sont nos sirènes contemporaines. De ce chaos naît un danger, celui de villes à deux vitesses, où tandis qu’une infime frange de la population s’arroge les richesses, des millions d’êtres humains vivent comme des bêtes.
Florence Broizat / Paris Match