Mon enquête sur le parcours des déchets électroniques a commencé par hasard : je me trouvais à Uummannaq, au Groenland, en novembre 2010, sur les falaises qui dominent les icebergs. C’est de là que j’ai pu contempler les effets de cette culture du jetable de la société d’aujourd’hui : rebuts divers, ordinateurs, lave-vaisselle, lave-linge, télévisions, chaînes hi-fi, fournitures de bureau, cuvettes de WC, camions, voitures - tout un bric-à-brac où passé et présent se télescopent avec l’avenir.

Tous ces déchets provenaient de l’ancienne Union soviétique, de l’Europe de l’Ouest et de l’Est, de l’Asie, transportés par de gros cargos qui s’en débarrassent là, au bout du bout du monde. J’ai compris que certains des plus gros pollueurs du monde venaient ainsi empoisonner le Groenland. Et je me suis posé cette question : les hommes, dans leur course folle à la soi-disant modernisation, n’ont-ils pas souillé irrémédiablement notre planète, sans le moindre souci de l’avenir et des générations qui nous suivront sur cette terre ? Nous avons adopté une philosophie de « après nous le déluge », nous voulons nous enrichir, nous engraisser, en perdant de vue toute considération morale. Mais ce faisant, nous détruisons le monde.

C’est ce jour-là au Groenland, par une température glaciale, en regardant les icebergs fondre sous l’effet du réchauffement climatique, que je me suis interrogé sur le nombre d’appareils que mes amis et connaissances avaient pu acheter au cours de leur vie. Combien d’ordinateurs ? Combien de téléphones portables ? Combien de téléviseurs ? Combien d’iPod ?

Après quelques recherches, j’ai découvert que, selon certaines estimations, il y avait plus d’un milliard d’utilisateurs d’ordinateurs dans le monde. Et plus de 4,6 milliards d’êtres humains possèdent un téléphone portable. La durée de vie moyenne d’un ordinateur est de trois à cinq ans ; pour un iPhone, de deux ans seulement. Au fur et à mesure que la technologie progresse, par à-coups, les modèles plus anciens des divers appareils deviennent obsolètes et sont remplacés. Moins d’un an après le foudroyant lancement de l’iPad, une nouvelle version était déjà commercialisée, et en un mois, trente millions d’iPad 2 étaient écoulés. Avec une telle demande, comment s’étonner que l’on génère de 20 à 50 millions de tonnes de déchets électroniques chaque année ?

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Cette quantité de déchets est affolante. Elle fait des ravages dans l’environnement et dans des familles qui gagnent leur vie en récupérant tout ce qui est récupérable, mettant ainsi en danger leur santé.

Cette enquête a commencé par ce questionnement. Puis, au fil du temps, elle s’est transformée en voyage photo-documentaire sur trois continents. J’ai parcouru 60 228 kilomètres pour découvrir ce qu’il advenait de ces déchets. Et pendant ce temps, les entreprises et les gouvernements continuent de faire des affaires aussi irresponsables que lucratives, en causant un préjudice considérable aux populations les plus fragiles du monde.

Car les déchets électroniques contiennent des agents toxiques : des PCB (polychlorobiphényles), du cuivre, du plomb, du zinc, de l’or, du fer, du thallium, du mercure… Le plomb, que l’on trouve dans les moniteurs informatiques et les téléviseurs, a un effet délétère sur le système nerveux central, en attaquant progressivement le cerveau, et lorsque les niveaux sont fortement toxiques, il peut occasionner des paralysies. Le cadmium, élément important de certaines batteries et cartes électroniques, est cancérigène ; le mercure endommage le cerveau et le système nerveux central ; quant aux PCB, ce sont des dioxines qui provoquent des malformations congénitales.

Dans les cimetières électroniques, le sol, l’air et l’eau ont atteint des niveaux de pollution sans précédent ; certains enfants qui se baignent dans les rivières et les torrents à proximité ont développé des ulcérations cutanées ; et on a retrouvé des traces de dioxine, un des produits chimiques les plus dangereux que l’on connaisse, jusque dans le lait maternel.

La crise, c’est ici, c’est maintenant, et elle est terrible. Les problèmes trop souvent observés dans les pays en développement - traitement des déchets, pauvreté, violence - sont encore aggravés par les dangers liés aux déchets électroniques.

Et voilà comment je suis parvenu à cette triste conclusion : plus nous nous « civilisons », plus nous nous comportons comme des barbares vis-à-vis de nos congénères.

Stanley Greene

Ce projet a été mené à bien avec le soutien de Geo France et l’aide d’un Getty Images Grant for Editorial Photography.

Stanley Greene

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par Jean-François Leroy
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