Lauréate de la Bourse Canon de la Femme Photojournaliste 2022

Le 29 juillet 2022, sur une rive du lac Baïkal, les Evenks de toute la Russie se réunissent pour la première fois. Peuple autochtone d’éleveurs de rennes, ils ont trouvé dans le Congrès toungouse l’occasion de visiter leur site originel, berceau de leur culture. Plus récemment, les Evenks occupaient un vaste territoire allant du fleuve Ienisseï au Kamtchatka, de la Yakoutie jusqu’à la Chine.

Pour un Evenk, la nature qui l’entoure est toute sa vie. Chasseurs de tradition, ils sillonnaient les forêts orientales de Sibérie depuis des siècles. Ainsi, les Evenks se sont installés dans les taïgas de Yakoutie, au milieu des mélèzes, des myrtilliers et des mousses de renne. Ils vivaient en présence du cerf, de l’élan, de l’ours brun, du renard, du grand tétras, de la zibeline, du taïmen, du brochet, du corégone, de la perche et de la truite. Ce n’est donc pas un hasard si la toponymie des sites naturels a des racines evenkes.

Pour leur noblesse, leur aisance et leur courage, on appelait ces nomades « les aristocrates de Sibérie ». Le costume officiel des hommes, semblable à une queue-de-pie, leur a même valu le surnom de « Français de la forêt ».
Ce sont eux, les Evenks de Yakoutie, qui ont guidé les prospecteurs russes vers les richesses du sous-sol, jouant le rôle de mushers pour les géologues à qui ils ont appris à survivre dans un climat rude. Comme bon nombre de peuples autochtones ailleurs sur le territoire, ils ont participé au développement industriel de l’Union soviétique.

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Aujourd’hui, la Russie est le troisième producteur d’or, tandis que près d’un tiers des diamants extraits dans le monde proviennent de Yakoutie. Tant bien que mal, les Evenks cohabitent avec les industriels qui exploitent leurs terres, sacrifiées sur l’autel de la croissance économique. La taïga est massivement abattue, les lits des rivières sont saccagés, les nappes phréatiques sont polluées, et les expertises ethnologiques* en prévention de chaque chantier ne sont que trop rares, alors que la loi l’exige systématiquement.

La préservation des milieux naturels est pourtant la priorité des Evenks. Sans les rennes et l’environnement qui les nourrit, ils ne pourront plus exister en tant que peuple. Mais qui mieux qu’eux saurait prémunir la planète des bouleversements climatiques ? Eux, ces indigènes attachés à leurs terres, ces autochtones des quatre coins du monde. Ils font partie intégrante des écosystèmes. Ils les comprennent et savent les entretenir. Nous devrions les écouter.

Même la fonte du permafrost pourrait avoir une solution locale. L’événement est catastrophique pour les régions septentrionales, mais il affecte aussi l’ensemble du globe avec la libération de méthane et de dangereuses bactéries. À Tchersky, en Yakoutie, le directeur de la Station scientifique du Nord-Est a son idée sur la question : Nikita Zimov a repris le flambeau de son père pour expliquer combien les grands herbivores sont importants pour équilibrer le milieu. En été, ils gardent l’herbe rase, limitant le développement des arbres qui absorbent la chaleur du rayonnement solaire. En hiver, ils dégagent la neige, ce qui permet à la terre de se refroidir plus vite. Les rennes y ont bien sûr leur place, mais aussi les yacks, bisons, chevaux, chèvres… In fine, cela vaut peut-être mieux que tout l’or du monde ?

Natalya Saprunova

  • L’expertise ethnologique est définie par la « Loi sur les garanties des droits des minorités autochtones de la Fédération de Russie » de 1999 comme une étude scientifique de l’impact des changements dans l’habitat d’origine des minorités et de la situation socioculturelle sur le développement d’une ethnie.

Natalya Saprunova

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